Décidément, la Tunisie a bien de la chance : non seulement elle a fait une révolution, mais elle dispose d’un génie politique, qui a été reconnu comme tel en dépit de son âge, puisqu’on l’a élu Président de la République. Mais cette qualité n’est pas la seule : il a montré, dans son discours du 10 mai, qu’il était maître dans l’analyse politique et la pédagogie de masse.
Qu’on en juge : il a débuté son cours magistral avec une longue apologie de la Révolution, dont personne ne le croyait capable, on l’aurait pensé plutôt méfiant vis-à-vis d’elle, attaché qu’il s’est affirmé à l’autorité de l’État et, croyait-on, partisan d’un régime plus présidentiel.
Cette surprise n’était pas la seule : dans son hommage aux artisans de la révolution, il a été jusqu’à reconnaître la rupture entre ces derniers et l’ensemble des acteurs politiques, pas seulement ceux du pouvoir, objets, a-t-il observé avec cette acuité que l’on rêve de rencontrer chez tous les responsables, d’une méfiance systématique de la part du peuple.
Mais le constat, pour courageux et innovant qu’il soit, est peu de choses devant les solutions trouvées : les politiques inspirent la méfiance ? Ils n’auront plus affaire aux protestataires, auxquels on opposera les arguments intellectuels des militaires qui seront dorénavant chargés de la protection des sources de richesses mises en danger par… les protestataires.
Cette solution déchargera les politiques de ces corvées de discussions sans fin avec des gens qui réclament des subsides qu’on ne peut leur donner, et ils pourront se consacrer à la résolution des problèmes économiques, sociaux, politiques, voire de mœurs : ils étudieront, par exemple, un test alternatif au test anal pour pouvoir combattre l’homosexualité.
Nous sommes tous convaincus que la méfiance envers les femmes et hommes politiques ne touche pas le Président. C’est pourquoi ce dernier va annexer ce corps condamné par la Constitution et ne disposant actuellement d’aucune autorité réelle, le corps des gouverneurs : en les rattachant, comme dans le passé, à la Présidence, il semble penser que renaîtra la confiance populaire.
Mais, j’y pense maintenant, notre pédagogue ne voulait-il pas nous conduire à conclure que l’on pourrait décharger les politiques de toute activité, laissant la fatigue de la gestion de la conversation plus ou moins houleuse avec le peuple aux militaires ?
Ceux-ci, après avoir brillamment défendu les structures économiques, pourront s’occuper utilement des institutions politiques, et, au fond pourquoi pas, les diriger toutes dans la ligne de la Révolution, bien sûr, et sous la conduite éclairée du vieux sage…