On le savait, on ne le savait que trop. La torture était largement pratiquée en Tunisie et tout le monde le savait. Du temps de Bourguiba on en faisait largement usage. Du temps de Ben Ali c'était une pratique systématique.
Après la révolution elle est encore, dit on, pratiquée. L'infernale mécanique était l'instrument habituel et régulier des tortionnaires, petits et grands ; dans les commissariats, dans les officines et dans les geôles. Elle était partout, peu en parlaient et encore peu la dénonçaient.
Du temps de Ben Ali les rares et courageux internautes qui, armés de leurs fragiles proxis et de leur témérité, allaient fouiner sur quelques sites enfouis et interdits : Tunis news, Tunis watch et quelques blogs de-ci et de-là lisaient les récits d'épouvante des emmurés vivants et des quelques rares rescapés.
Que dire, quoi crier, on a tellement écrit et déblatéré sur la banalité de ce mal, sur "l'ordinarité" des tortionnaires. Que dire devant l'indifférence, à l'époque, de la bonne société tunisienne, de la "gentry" universitaire qui, quand elle consentait à en parler, c'était sous forme de dithyrambe pro-Ben Ali ou de diatribes anti-islamiste; comme si l'islamiste n'était qu'un insecte nuisible et non un être humain.
Que dire surtout de l'attitude de mes confrères qui ont fait serment de protéger l'intégrité physique de l'être humain. Certains ont commis l'impardonnable en maquillant des rapports, d'autres, des supplétifs des tortionnaires ont commis le suprême outrage en "encadrant" les séances de torture.
Que ces audiences de l'IVD soient une catharsis pour qu'au moins l'outrage soit couvert par la honte et le repentir et pour que ce cancer soit extirpé de notre pays.
Audience des hommes et des femmes.
Écouter ces mères éplorées, ce résistant des premiers temps, ces militants de cœur et de conviction raconter leur calvaire, leur misère, leur souffrance, fut plus qu'un moment de foi et de communion.
Le choc, l'électrochoc de la souffrance subie par les uns et les autres du temps de la tyrannie bourguibienne, de l'immonde dictature de Ben Ali et des temps récents de la révolution avortée et trahie.
Il est réconfortant de mesurer la vague d'empathie et de communion qu'éprouve l'immense majorité des tunisiens avec cette instance qui est entrain d'écrire une page de l'histoire de la Tunisie.
Il est tout aussi odieux de lire les tombereaux de haine et d'infamie déversés sur cette instance et sa présidente, Sihem Bensedrine, par « des esprits», qui ont beaucoup à cacher et beaucoup à se reprocher.
Que vive cette instance, merci à Sihem Bensedrine et que la Tunisie soit débarrassée de la dictature et de l'infamie de la torture.