Le Maroc a toujours été pour moi « le pays de Canaan », la terre bénie, la terre de pain et de miel. L'année 1960 fut le début de tout : la« sortie d’Egypte »….quitter la mal-vie, quitter la Tunisie de Bourguiba. C'était l’époque des coucous à hélices, les temps heureux où on allait à pieds à l’avion.
On faisait 3 escales : Annaba, Alger et Oran pour arriver en fin de journée à Casa-Anfa, le tout petit aéroport, l’Algérie n’était pas encore indépendante. J'avais 11ans.
Et ce fut Tanger …. Babylone, encore internationale dans les esprits, revenue depuis peu dans le giron de l’état marocain. Des « gratte-ciels » des indiennes en Sari, des européens de toutes nationalités et de toutes confessions, des arabes de tous les horizons et des tangerois, des marocains fiers de leur ville.
La ville était grouillante, une ville affairée et commerçante où on comptait en pesetas, franc et rial. Des lycées dans toutes les langues, des cinémas innombrables, des bibliothèques et des librairies et surtout l'atmosphère et les effluves inoubliables de Tanger. Le soir venu la ville était enveloppée de relents marins avec un fond de friture de calamar, les tapas au moment du "passeo" où tous les machos et les beaux mâles s'attablaient sur les terrasses de la principale artère et regardaient défiler les belles andalouses, les belles tangeroises.
Tanger refuge, Tanger ville ouverte Tanger notre Havre. Personne ne se souciait de nous demander notre carte de séjour ; l'accent tunisien était déjà un sésame. Tous ceux qui venaient du "charq "étaient valorisés. C'était les grands moments du nasserisme triomphant, du grand cinéma égyptien de Abdel-Halim, de Farid, c'était les années yéyé, les sixties."
Et puis Tanger s'est assoupie, malaimée des autorités, qui n'en prirent pas soin et la ville connut des années lugubres, livrée à l'incurie et à l'affairisme des narcotrafiquants. La ville, défigurée, perdit beaucoup de son âme.
La résurrection vint avec l'avènement du nouveau monarque ; un lifting impitoyable débarrassa la ville des scories du béton-fou et dégagea la vue et l'espace. Tanger a aujourd'hui une zone portuaire extraordinaire, une zone industrielle, une vraie plateforme moderne et sur active, la ville est ceinturée d'autoroutes, le parc hôtelier est pour l'essentiel clinquant neuf, une ville prospère entrée de plein pied dans le développement et la modernité.
Autant dans le passé ce fut un crève- cœur chaque fois de revenir à Tanger, autant maintenant année après année je suis émerveillé et dépassé par les changements pas toujours heureux, du béton, encore plus du béton. Je retrouve avec immensément de bonheur la ville de mes premiers émois, de mes années bonheur, mais la nostalgie n'est plus ce qu'elle était… L'âge… Le temps.
Tanger est en pleine expansion. La ville est en plein essor économique. On construit de partout. Le front de mer est sens dessus-dessous. On creuse et on défonce sans désemparer même la nuit.
Monsieur béton a le vent en poupe, on tremble pour la ville. Tanger pourtant regorge d'édifices de tous les styles architecturaux qui racontent l'histoire et l'âme de la ville. Certains ont fait l'objet de réfection et d'entretien quand d'autres s'effilochent dans l'oubli comme l'increvable cinéma Alcazar qui a vu passer des générations de cinéphiles.
Matisse à Tanger où le long, très long, retour à la vie d'un grand hôtel "Villa de France "emblématique de l'histoire de la ville.
Le grand peintre Henri Matisse a séjourné dans cet hôtel au début du siècle dernier en 1911 et 1912. L'hôtel a été construit en 1880 et il abrita tout le gotha de l'aristocratie européenne, il tomba en décrépitude jusqu'à devenir pratiquement une ruine. Il est réouvert depuis l'an dernier et renoue avec son passé de prestige. Seule la chambre d'Henri Matisse a été conservée en l'état. La légende continue.