Un parti né dans les circonstances troubles que nous connaissons et dont le leadership s’est déplacé au palais de Carthage, laissant ainsi libre cours aux ambitions personnelles, aux clans, aux lobbies et aux fantasmes non-avouées des uns et des autres, ne peut résister longtemps aux rivalités qui le traversent et dont l’impact sur sa solidité finissent par produire un effritement et des déballages médiatiques forcément cataclysmiques.
Ce parti, sans boussole idéologique, sans identité, fondé sur une communauté d’intérêts économiques entre anciens et nouveaux prédateurs et oligarques financiers, ne peut gérer convenablement ces conflits qui émergent au sein des rassemblements incohérents, incongrus voire paradoxaux !
La désunion actuelle est la somme de toutes les impostures ayant conduit ce parti, grâce à un matraquage médiatique impressionnant, aux faiblesses structurelles des partis qui ont gouverné la Tunisie après la Révolution et aux haines savamment entretenues par ceux qui ont désigné en Ennahdha un ennemi à abattre, à gagner les élections présidentielles et législatives.
Or, appelé à gouverner sans disposer d’une majorité confortable, Nidaa a dû composer, fait inédit pour les destouriens, avec une réalité arithmétique amère : former un gouvernement de coalition, qui plus est, avec son ennemi juré, adversaire qu’il a taillé en pièces , diabolisé, voué aux gémonies, pourvu que le vote utile le dispense d’arguments politiques, économiques, sociaux…, hormis ce leitmotiv bourguibiste, fonds de commerce dont ils ont usé et abusé pour se prévaloir d’une légitimité que la révolution a neutralisé.
Bourguibisme et modernisme édulcorés !
Le dithyrambe bourguibiste et identitaire repose davantage sur le fantasme que sur la réalité, sur le concept clairement défini !
C’est un fourre-tout où chacun puise sa raison d’être et sa proximité culturelle ou cultuelle !!!Que d’amulettes, que de gris-gris pour repousser l’arabité, l’islam, l’orient, la décadence, le déclin… Serait-ce en vertu d’une pensée éclairée, d’un dogme structuré, d’une idéologie « moderniste » inscrite dans un projet de société ample et vaste qui ne se limite pas aux slogans et aux reniements péremptoires ?
L’impression, c’est que le refoulé se concentre sur ses frustrations et les expose vulgairement à la plèbe accusée de vouloir modifier son mode de vie , si piètre et insignifiant qu’il soit, alors haro sur ces conservatismes ténébreux et moyenâgeux, sur ces « jihadistes » flamboyants et criminels, sur cette masse ignorante, bête, sale et méchante à laquelle on doit interdire le vote !!!
Ces gens-là, que vous côtoyez sans réellement les voir, ces infrahumains qui vivotent à l’orée de vos luxes indécents, de vos bonnes et mauvaises manières, de ce bien-être socio-économique que vous étalez avec l’obscénité du parvenu insouciant, indifférent à la misère d’autrui, ces indigents qui existent à la lisière de vos mièvreries de bourgeois engoncés dans vos plaisirs superfétatoires et dans vos coquetteries intellectuelles aussi sottes que vaines…ces gens-là vous vomissent aujourd’hui parce que vous tentez désespérément de disqualifier « leur révolution » à défaut de pouvoir la récupérer et la corrompre par vos valeurs mercantiles et par votre hypocrisie « libertaire et libertine » !
Cette révolution a été inaugurée par les campagnards, par les ruraux, par cette misère diffuse et ignoble, par cette haine sourde et violente que vos excès ont nourrie, alimentée au point qu’elle enfle, qu’elle s’amplifie et qu’elle débouche sur une insurrection contre les valeurs que vous incarnez, contre ce modèle de société qui a planifié leur marginalisation en accroissant jusqu’à la démesure, jusqu’à l’insupportable, les écarts et les inégalités sociaux et régionaux !
Ce peuple s’est soulevé contre l’injustice, contre les inégalités, contre l’iniquité froide et cynique, contre la corruption, contre le népotisme, contre le clientélisme, contre l’extorsion, contre les passe-droits, contre les privilèges éhontés, contre une voyoucratie abjecte et immorale, contre un Etat despotique, vulgaire et immonde, contre une bourgeoisie mafieuse et associée aux dérives monarchiques du régime…Il cherchait à recouvrer sa dignité, à assurer à ses enfants un avenir serein, à déboucher les horizons obstrués par les égoïsmes perfides d’une classe bourgeoise complètement aveuglée par ses intérêts économiques.
Si vous croyez que la bagatelle identitaire l’intéresse, vous vous trompez, si vous imaginez que le bourguibisme va susciter en lui une vocation, vous vous trompez, vous êtes désormais une minorité « chialeuse » et « capricieuse », coupée, comme le furent Ben Ali et Bourguiba, de la réalité de son peuple, induite en erreur par cette fausse intuition qu’elle a des urgences et des priorités !
Quid des islamistes ?
De la même manière, mais encore plus grotesque, les islamistes ont pris leurs vessies pour des lanternes et ont entrevu dans cette révolution la possibilité de mettre en œuvre leur prosélytisme étriqué et d’instaurer progressivement une théocratie. Or, le peuple n’était ni assoiffé de religieux ni de rigorisme moral, en dehors de l’électorat nahdhaoui, ceux qui ont voté ce parti, ne l’avait pas fait par conviction idéologique, mais parce qu’ils associaient Ennahdha à la rectitude morale, à la probité et à la vertu. L’amalgame avait fonctionné au bénéfice d’un discours simple, teinté de bons sentiments et en osmose à l’époque avec les attentes de ce peuple meurtri, méprisé et humilié ! L’empathie aidant, Ennahdha fut créditée d’un score qui dépassa amplement ses espoirs les plus fous, mais confrontée à l’exercice du pouvoir, elle échoua, péchant par dilettantisme, incompétence, arrogance et inexpérience. Elle confondit « transition démocratique » et « accaparement sauvage des rouages de l’Etat à des fins idéologiques ». Or, quand on n’a pas les instruments de sa politique, en d’autres termes les médias et l’appareil économico-industriel, quand on menace, même à termes voilés, les acquis sociaux de la femme ou les orientations culturelles, éthiques et religieuses du Tunisien, on ne doit pas s’étonner de l’hostilité qu’une tendance stigmatisée par son archaïsme fait naitre auprès des couches les plus instruites de la population et dont les orientations idéologiques sont aux antipodes de celles de Ennahdha !
Privilégiant le statut quo ante au détriment de concessions politiques importantes dans le cadre de la construction d’un édifice républicain nouveau, démocratique et inscrit dans une logique d’apaisement social, Ennahdha n’a fait qu’accroître les suspicions à son égard, permettant ainsi, aux réactionnaires et affidés de l’ancien régime de profiter de cette situation chaotique pour sortir la tête de l’eau et se poser en alternative à la menace intégriste. Forts du soutien de la bourgeoisie et d’une élite longtemps domestiquée et enrégimentée par la dictature, les destouriens, déguisés en ceci ou en cela, avec l’appui de médias toujours aux ordres, vont renverser la vapeur, en enrôlant, pour une éventuelle réhabilitation, des figures syndicalistes ou militantes connues pour leur âpre opposition à l’islamisme. Ce qui les unit, ce n’est ni un programme politique et économique alternatif, ni une vision inédite de la société tunisienne, ni l’ambition d’instaurer un État démocratique, fraternel et solidaire…non, rien de tout ça, ce qui les rassemble c’est la phobie d’Ennahdha, c’est cette haine viscérale qu’ils ont intériorisée à l’égard de ce parti à cause de la propagande benaliste !
Quid de la gauche
Le meurtre odieux et crapuleux de Belaïd a permis aux forces progressistes de rebondir et de focaliser sur ce crime afin d’en récolter les dividendes politiques et de se positionner sur l’échiquier pour rompre le clivage insidieux islamistes/destouriens. Or, les carences de la gauche marxiste en Tunisie sont chroniques et ne datent pas d’aujourd’hui : handicapée par sa relation controversée au religieux et au sacré d’abord, pénalisée ensuite par un discours qui effraie la moyenne et la grande bourgeoisie et qui n’a pas de prise sur les masses populaires, et in fine, sombrant parfois dans un populisme aux relents misérabilistes et sectaires…cette gauche ne pourra jamais gagner les élections ou se prévaloir d’une majorité à même de la conduire aux commandes de l’État !!!
Elle continuera à exister en tant que sensibilité politique et idéologique et avec le temps, son poids électoral s’effilochera, elle a déjà eu son martyr et je ne pense pas qu’elle puisse en avoir un autre pour galvaniser des troupes qui espèrent un mieux-vivre !!!
Crise passagère ou implosion !
L’âge de Béji Caïd Essebsi est un facteur déterminant dans la façon dans cette crise évoluera.
Les protagonistes de la crise, divisés en factions surplombées par des lobbies économiques, n’en démoderont pas de sitôt, chercheront des appuis extérieurs ou des soutiens hasardeux afin d’éjecter de Nidaa la minorité turbulente et d’asseoir progressivement l’autorité de celui qui recueillera, si le congrès électif aura lieu, une forte adhésion à sa personne en l’absence d’un consensus de moins en moins probable.
Nidaa, quoi qu’il en soit, sortira affaibli de cette crise, la ligne de fracture entre son aile gauche et ses conservateurs destouriens est une pente abrupte favorisant plus l’implosion que les concessions.