Tout le monde croyait que le coup d’Etat visait uniquement Ennahdha et que celle-ci allait être la seule victime du putsch du 25 Juillet 2021, or, à l’évidence ce coup d’Etat constitutionnel allait brasser large en démantelant systématiquement, méthodiquement, toutes les institutions issues de la transition démocratique et en procédant à une relecture du moment révolutionnaire en vue de démythifier ses symboles et de pulvériser un à un ses acquis, dont le principal : la Constitution de 2014.Vidée de sa substance, la Révolution ne constitue plus la pierre angulaire du projet démocratique tunisien, bien au contraire, dans l’esprit des initiateurs du putsch, tout ce qui découle de cette révolution est une pierre d’achoppement dont il faut se débarrasser pour restaurer l’ancien régime, car, Kaïs Saied n’est que l’instrument de la restauration son colifichet populiste.
L’opportunisme ou plutôt la myopie de quelques partis politiques, de l’UGTT et d’une partie de la société civile, obnubilés tous par l’aversion qu’il cultive envers Ennahdha, leur a interdit de comprendre la nature du projet de Saied et éventuellement d’être plus méfiants à l’égard d’un illustre inconnu, propulsé à la tête de l’Etat par un concours de circonstances heureux et qui laissait entrevoir bien avant le 25 Juillet 2021 des velléités despotiques, certes manifestées d’une manière sibylline mais qui aurait dû éveiller les soupçons de ceux qui l’avaient si naïvement soutenu dans l’espoir que sa bataille soit circonscrite à une mise à l’écart d’Ennahdha, indépendamment des moyens licites et illicites qu’il emploiera pour neutraliser leur adversaire politique et idéologique. Ils étaient prêts à cautionner tous les abus pour peu qu’Ennahdha soit réduite au silence, preuve s’il en est, de leur nature éminemment antidémocratique…et c’est un euphémisme…
Or, dans l’esprit des putschistes, la restauration de la dictature en l’absence d’un parti politique qui l’incarne et d’une assise populaire assez large qui la revendique, devait d’abord s’appuyer sur l’armée, les forces de l’ordre et une justice mise sous tutelle, et ensuite sur une guerre d’usure conduite avec tous les moyens de propagande disponibles contre les deux forces, l’une politique et l’autre syndicale, capables de mobiliser la rue et de former une force de frappe redoutable à même de contrecarrer le projet putschiste et de l’abattre.
Le leurre consistait à donner l’impression que seule Ennahdha était concernée par cette vendetta si bien que la centrale syndicale fut en quelque sorte anesthésiée, adoptant envers Saied une attitude consensuelle voire complaisante, dépourvue de cette prudence nécessaire qui l’aurait sans doute mis à l’abri de représailles prévisibles.
L’erreur stratégique de l’UGTT, pourtant assez souvent habile en matière de négociations, est d’avoir renoncé très vite non seulement au processus démocratique mais au rôle prépondérant qu’elle a joué pendant et après la révolution et dont les conséquences , malheureusement néfastes, ont été propices à l’avènement du coup d’Etat.
Personne n’ignore la responsabilité de l’UGTT dans la plupart des crises qui ont secoué le pays au cours de la dernière décennie, responsabilité qu’elle partage avec toute la classe politique tunisienne ainsi qu’avec une élite rétive à la transition démocratique et pataugeant dans ses contradictions idéologiques et dans ses querelles de clocher. Néanmoins, ce qui est surprenant, c’est que l’UGTT a renoncé à ce pouvoir considérable, y compris son pouvoir de nuisance, qu’elle a acquis grâce à la révolution et à la faiblesse voire l’amateurisme des partis politiques, trop timorés et trop calculateurs pour engager un bras de fer avec la centrale syndicale. Aujourd’hui, Saied frappe avec insistance à la porte de l’UGTT, son intention est de faire ce que ses prédécesseurs n’ont pas eu l’audace de faire : lui infliger la pire des humiliations en la domestiquant !!!
L'UGTT et sa direction actuelle ont eu le vent en poupe pendant ce qu'ils ont appelé "la décennie noire" décennie au cours de laquelle ils ont pratiqué avec un zèle extraordinaire une hégémonie presque totale sur la vie politique en Tunisie, exerçant leur influence sur tous les gouvernements qui se sont succédé, alternant accalmie et menaces, obtenant satisfaction dès qu'ils agitaient le spectre de la grève, affaiblissant l'Etat en le soumettant à un chantage permanent, discréditant gouvernements et parlement qu'ils maintenaient sous pression, intervenant d'une manière directe et brutale dans les grands choix politiques et économiques…En somme, cette décennie fut la leur et ils doivent assumer pleinement cette "noirceur" qu'ils fustigent aujourd'hui sans pudeur et avec une grande hypocrisie…
Kaïs Saied, qu'ils croyaient maitriser, n'est pas partageur, en bon dictateur futile et mégalomane, il estime que la mise au pas d'une centrale syndicale puissante est indispensable pour sa survie politique et pour la réalisation de ses lubies et fantasmes, sa guerre, quoique non-déclarée, est avec l'UGTT qui doit redevenir selon lui, ce qu'elle a toujours été: un satellite du régime et sa caisse de résonance…Sa mise sous tutelle est probablement risquée, il le sait, mais elle est essentielle s'il espère être un dictateur, certes de pacotille, mais un dictateur…
En outre, il espère profiter des clivages au sein de la direction actuelle de l'UGTT pour trouver des complices en son sein qui faciliteront son projet d'inféodation, et ces complices existent et considèrent que leur inimitié envers le processus démocratique est plus importante que l'indépendance de leur centrale syndicale…D'ailleurs, sans leur félonie, ce coup d'Etat aurait échoué….
Il est clair que l'alternative aujourd'hui est soit l'abdication soit la guerre, dans les deux cas, l'histoire retiendra que l'UGTT s'est trompée de guerre et d'ennemis.