La formation d’un gouvernement de coalition dans le climat politique délétère qui est le nôtre relève désormais de la gageure et à moins d’un consensus miraculeux, il faut se rendre à l’évidence : le gouvernement Fakhfakh ne verra pas le jour non seulement à cause de l’obstination d’Ennahdha à vouloir imposer un allié encombrant, Qalb Tounès, dont le truculent fondateur est accusé de blanchiment d’argent et de fraude fiscale, mais parce que l’échec du gouvernement Jomli a engendré une crise de confiance durable et difficile à gérer entre Ennahdha, le Tayar de Abbou et le parti Chaab…
Elyès Fakhfakh, au demeurant, n’a absolument rien à perdre, il ne craint ni une sanction électorale qu’il a déjà subie au cours des élections législatives et présidentielles ni une chute de sa popularité dans les sondages puisqu’il n’a pas encore acquis une notoriété telle lui permettant de figurer dans les sondages… Alors pourquoi a-t-il failli, du moins jusqu’à présent, à convaincre Ennahdha de rejoindre la coalition et de renoncer à ce vrai-faux partenaire qui est Qalb Tounès ???
Il avait un atout dont il pouvait se servir à bon escient…le préjugé favorable dont il bénéficiait auprès de tous les partis politiques, hormis celui de Abir Moussi, et , ce qui est important, le fait d’avoir été ministre sous la troïka et d’avoir collaboré avec Ennahdha, ce qui était de nature à rassurer les nahdhaouis et de garantir des pourparlers plutôt sereins et constructifs…
Or, sa volonté de prendre ses distances du parti vainqueur des élections législatives et de se prévaloir d’une légitimité qui n’est pas la sienne, celle de Kaïs Saied, pour dicter ses choix aux partis politiques et emprunter un parcours sur lequel il n’y avait pas un accord unanime, l’a considérablement affaibli et à réduit, comme une peau de chagrin, sa marge de manœuvre, déjà exiguë à cause de son poids électoral dérisoire…
Choisir le parapluie présidentiel parce qu’il se sent redevable à Kaïs Saied de sa désignation, n’était pas forcément une bonne idée d’autant plus que Saied n’est pas représenté au parlement et que l’approbation et les 109 voix indispensables au passage de son gouvernement, il faut aller les chercher au Bardo.
Fakhfakh sait, qu’arithmétiquement, pour composer son gouvernement, il a besoin des voix soit d’Ennahdha, soit de Qalb Tounès soit des deux à la fois, cependant ses convictions politiques et probablement morales l’empêchent de cautionner tout rapprochement avec Nabil Karoui, une incompatibilité tout à fait compréhensible au vue du programme anti-corruption dont il est porteur et qu’il défend avec raison, cela l’aurait décrédibilisé et aurait éloigné de lui le parti de Abbou , farouchement opposé à toute relation incestueuse avec Nabil Karoui.
Il semble aussi que Kaïs Saied, soucieux de préserver son capital-confiance auprès de ses nombreux électeurs, ait clairement signifié à Fakhfakh son rejet de toute participation de Qalb Tounès à la coalition gouvernementale, et que le véto présidentiel soit décisif dans son choix de Fakhfakh, ce qui implique que Fakhfakh ne pouvait pas amorcer des négociations avec Karoui sans provoquer le courroux de celui qui l’avait choisi…Il en était conscient et cela diminuait considérablement ses chances de parvenir à un compromis qui ne fâche personne…
Fakhfakh a probablement sous-estimé la déception d’Ennahdha après le camouflet qu’elle a subi à l’ARP lors du vote de confiance pour l’investiture du gouvernement Jomli, il n’a pas compris que les querelles qui l’opposent à Abbou et à Maghzaoui ont laissé des traces sur sa stratégie politique et ont entrainé des inimitiés qui vont bien au-delà des chamailleries politiciennes, c’est beaucoup plus profond car les insinuations, les allusions, les provocations n’ont pas éveillé seulement des susceptibilités passagères, elles ont produit rancœurs tenaces et rancunes durables…L’erreur est de ne pas avoir cherché à comprendre la nature de ces conflits récurrents, leurs bonnes ou mauvaises raisons et leur impact sur la formation de son gouvernement…
Il partait avec un handicap dont il était conscient mais qu’il n’a jamais voulu affronter avec la pédagogie nécessaire de manière à apaiser les tensions et à créer un climat de confiance entre tous les protagonistes, climat qui aurait eu pour effet immédiat une décrispation de ces relations houleuses caractérisées parfois par des formes d’animosité exagérées et excessives.
Un compromis miraculeux à l’italienne ???Seule la peur d’élections législatives anticipées pourrait contraindre les uns et les autres à négocier le dernier virage avec plus de tact et de souplesse…pour le moment, un tel scénario est hypothétique !!!