Que John Steinbeck m’autorise à substituer à ses « raisins » nos cyclamens printaniers du Boukornine, mais, en ces temps troubles, la colère est de mise d’autant plus que le génocide en cours à Gaza ne suscite ni l’émoi des dirigeants occidentaux ni la solidarité des régimes arabes dont la plupart sont sous le joug de l’occident et craignent leurs populations respectives.
Ce génocide planifié et exécuté par l’entité sioniste de la manière la plus abjecte et la plus immonde qui soit, ayant déjà fait plus de 30000 morts, sans compter les morts ensevelis sous les décombres, ayant rasé plus de la moitié de la ville de Gaza, ayant utilisé les armes les plus meurtrières et les plus abominables pour exterminer les Palestiniens et obliger les survivants à l’exil, nous rappelle, hélas, d’autres épisodes similaires qui ont jalonné l’histoire de l’humanité et dont furent victimes des populations décimées par la férocité, la cruauté et la sauvagerie de nations déterminées à s’emparer par le fer et par le feu de territoires qui ne leur appartenaient pas.
Les Juifs eux-mêmes furent victimes de l’holocauste et auraient dû être les premiers à dénoncer les crimes commis par l’usurpateur israélien et à stigmatiser la conduite criminelle et terroriste de leur gouvernement. Certes, certains ont eu le courage de s’opposer à ce génocide, mais plus nombreux sont ceux qui soutiennent mordicus l’œuvre exterminatrice de Netanyahou.
La parution du troisième roman de Leila Haj Amor intervient au moment où le mal, goguenard, cynique et arrogant triomphe et où l’humanité sombre dans une espèce de chaos moral annonciateur de lendemains sinistres, épouvantables et probablement tragiques.
N’ayant pas encore lu son roman qui vient d’être publié par الدار المتوسطية للنشر MEDITERRANEAN PUBLISHERS, je n’explorerai ici ni ses contours ni ses confins, ni ses mystères ni son style que je soupçonne d’être léger, poétique, empreint de cette sensibilité et de cette finesse d’esprit qui caractérisent cette auteure dont l’écriture n’est jamais banale, n’est jamais empruntée, n’est jamais prétentieuse et n’est jamais pédante.
C’est une écriture de combat, d’engagement, de justice, elle est universelle parce que fraternelle, parce que dépourvue de haine, parce qu’elle s’inspire de sa profonde culture humaniste, de l’éducation qu’elle a reçue, de son vécu militant, de ses batailles pour la démocratie, de toutes ces valeurs nobles dont elle est imprégnée et qu’elle restitue merveilleusement bien dans ses romans, des modèles qui sont les siens : ses défunts parents, personnes discrètes, justes, sensibles et parfaitement en symbiose avec tout ce qu’elle a appris d’eux.
Les temps sombres dont j’ai parlé précédemment sont aussi les temps sombres de sa Tunisie natale, qui, après la brève embellie printanière…semble encore une fois emprunter le chemin de l’hiver tyrannique. Comme une vieille rengaine qui ne s’use jamais…
Son roman évoque tantôt les temps obscurs de la colonisation, de la deuxième guerre mondiale, de l’intrusion du nazisme allemand en Tunisie et justement, de ces juifs tunisiens soudain mis en péril par la présence militaire allemande et tantôt les temps merveilleux de l’enfance banlieusarde vécus entre Ezzahra, son fief, et Hammam-Lif sur laquelle veille imperturbable le Boukornine, ville des mille paradoxes, d’une beauté désuète, ville voluptueuse et envoûtante, s’arcboutant entre ciel et mer, entre mer et montagne , soignant sa vieillesse et ses vieux rhumatismes grâce à ses eaux thermales, généreusement offertes par les entrailles volcaniques du Boukornine…
« La nuit du cyclamen » , c’est le titre suggestif de ce roman, c’est une association assez équivoque , mystérieuse, ambiguë.
Dans le langage des fleurs, le cyclamen révèle un attachement fort, sincère et impérissable. Un attachement à la terre, un attachement aux siens, un attachement à ses idéaux, cet impossible renoncement à ce que l’on aime, à ce que l’on chérit, à ce en quoi on croit fermement, en dépit des impostures, des mensonges, des trahisons, des déception, des mots édulcorés et assiégés par le doute !!!
Dans le code amoureux, le cyclamen symbolise la durée et la sincérité des sentiments. C'est un geste subtil et silencieux. Particulièrement lumineuse et agréable à regarder, cette fleur souligne l'aspect sublime de la personne aimée.
Il semble que « Nuit du cyclamen » soit un oxymore mais si c’était pour décrire une rupture, la fin de quelque chose qui annonce l’agonie d’un temps qui fut mais qui ne sera plus…et les balbutiements d’une nouvelle époque, l’éclosion de nouvelles sensations, la création d’un monde sur les décombres du vieux, de l’ancien…L’enfantement dans la douleur de valeurs plus saines, d’amours que l’on croyait improbables dans un univers gagné par la violence, par les fascismes, par les haines sordides, par le épurations ethniques, par les hégémonies impérialistes, par les racismes, par le délitement du lien social, par la montée des égoïsmes, par une laideur morale diffuse et absolument ignoble ???Les cyclamens savent résister à la rudesse des nuits hivernales et finissent par renaître, il n’existe pas de nuit éternelle, l’obscurité, tôt ou tard se dissipera…Résister à la nuit…mais ne résistez pas à la tentation de lire ce roman que je soupçonne d’être un peu autobiographique…
Si j’en parle avec enthousiasme et lyrisme, même si je ne l’ai pas encore lu, c’est parce que c'est un pan de notre histoire hammamlifoise, de son Boukornine majestueux, du rite printanier de la cueillette des cyclamens, de son patrimoine beylical aujourd'hui délabré et en ruines, de cette banlieue sud si joviale, si populaire, si promptement associée parfois à la délinquance, à la violence urbaine et à cet air petit bourgeois d'Ezzahra, une coquette coincée entre un Hammam-Lif mi-aristocratique mi-roturier et un Radès bariolé et prolétaire....Je reconnais à Leila Haj Amor ce talent et cette finesse d'esprit qui lui permettent de s'engouffrer dans notre histoire tumultueuse....et assez équivoque.