La réflexion sur le devenir de plus en plus incertain de l’embellie démocratique en Tunisie impose parfois une certaine précision-prudence intellectuelle dans le choix des mots qui vont structurer la pensée.
Admettons que survivent dans notre pays les vestiges d'idéologies archaïques, délabrées, fondamentalement totalitaires, sectaires, rétives à la démocratie, franchement anachroniques et hors du temps, admettons aussi que les grandes ruptures , les grands mouvements de la pensée et l'évolution de celle-ci sont souvent l'œuvre d'esprits libres, téméraires, audacieux, qui se délestent des vieilleries idéologiques pour épouser leur époque et s'emparer de toutes les possibilités qu'offrent la liberté d'entreprendre, de créer, de réfléchir, de penser, de dire ce qui est neuf, inédit et en rupture totale avec ce carcan totalitaire qui étouffe leur génie…
Admettons qu'une société intelligente ne naît pas ex nihilo, qu'il faut du temps pour que les mutations sociales, culturelles, philosophiques, écologiques, économiques, artistiques engendrent des changements profonds et inéluctables dans les mœurs et dans les mentalités d'une société conservatrice souvent, trop souvent encline à préserver ce qui est ancien, vieux, suranné et désuet de crainte d'un avenir ou d'un présent qui surgit violemment dans leur existence en vue de pulvériser ce en quoi elle a toujours eu foi, quand bien même ce en quoi elle croyait serait synonyme de dictature, de corruption, de clientélisme, de délitement du lien social, de délits mafieux assumés par le régime, de dégradation des mœurs et d'un étrange épanouissement de l'ignorance.
Admettons qu'une société démocratique a besoin d'une praxis démocratique dont la mise en œuvre en vue de l'ancrer dans les comportements nécessite du temps, de la pédagogie et un savoir-faire indubitablement lié à de longues phases d'apprentissage, apprentissage qui passe par la famille, l'école, les lieux publics, l'agora, les lieux de culture et de culte, les lieux de divertissement....Et plus la diversité et la pluralité s'installent dans la société, plus les résistances s'affaiblissent jusqu'à s'affaisser le jour où la démocratie transcende le système politique pour devenir un impératif politique et moral…
Admettons qu'en Tunisie les courants réactionnaires et antidémocratiques fusionnent souvent avec la nature policière du régime et que la confusion Etat-parti(L’Etat destourien) a produit en Tunisie des monstruosités dont la principale : Un État (administration, police, justice, armée, médias, culture ...)qui ne se comporte pas en tant que service public neutre et moderne mais plutôt en tant qu’ acteur principal des choix politiques et économiques ce qui est de nature à pervertir le système démocratique et à le rendre inoffensif et d'une innocuité inouïe puisque l'Etat est en concurrence directe avec les acteurs politiques légitimes qui en démocratie sont les partis politiques et la société civile.
La nature même de l'Etat tunisien depuis Bourguiba n'a pas changé malgré la révolution et le processus démocratique : à la fois jacobin et mafieux, tyrannique et paternaliste...il est d'un absolutisme délétère : deux traits le caractérisent : omnipotent et centralisateur, il doit tout contrôler, tout surveiller, tout gérer…jusqu'aux choses les plus intimes ce qui finit par infantiliser et déresponsabiliser les citoyens en s'assurant de leur servitude consentie....
Cet État aurait dû s'effondrer, mais il a su se maintenir et garantir sa permanence grâce à d'habiles compromis ou plutôt compromissions qui lui ont permis d'abord de se relever ensuite de reprendre son souffle et enfin d'occire sa rivale: la démocratie...Un État totalitaire aux réflexes policiers ne peut pas être démocratisé...il doit tout simplement disparaître…
Notre dilemme c'est que , par naïveté et inexpérience...nous avons voulu le beurre, l'argent du beurre et le « cul » de la crémière...Préserver l'ordre ancien, avec toutes ces tares reconnues et le guérir progressivement de ses maux...Nous payons aujourd'hui les frais de cette erreur historique…