Néji Jalloul est un ministre hors norme, hors pair, hors champ, dès qu’il chausse ses bottes de sept lieues, plus personne ne l’arrête : il devient insaisissable, parcourant la République en long et en large, explorant les grottes délabrées et humides pompeusement appelées écoles, constatant de visu tous les crimes de l’ancien régime en matière de dissolution de la matière grise, de déliquescence des valeurs censées être véhiculées par une institution scolaire pauvre, indigente, démunie, sacrifiée sur l’autel des cupidités intrépides d’un régime illettré , mafieux et indifférent au savoir et à la connaissance !
Le lucre le plus insidieux est passé par là, les vices luxuriants d’une classe politique prédatrice ont tout dévasté, tout ravagé, si bien que nos écoles, nos collèges, nos lycées ressemblent à s’y méprendre à des lieux de débauche en ruine, désertés par la vie, par le verbe, par le génie, par le désir d’entreprendre, de créer, d’inventer, de surprendre et bien évidemment d’apprendre !
Notre ministre de l’éducation nationale, tantôt angoissé tantôt irrité, affiche son incrédulité, quand, exposé à ce spectacle pathétique et pitoyable, il se réfugie dans le passé, dans l’école des années soixante, fierté de la Tunisie bourguibiste, de la Tunisie intelligente, de la Tunisie téméraire et volontariste ! Etrange nostalgie, d’un ministre qui entrevoit l’avenir dans une école désuète, anachronique, ancrée dans cet hier fantasmé dont il élabore les contours poussiéreux avec la dextérité d’un archéologue obligé de vérifier à ses dépens que le Benalisme, a conservé telle quelle l’école de Bourguiba, au point qu’elle s’est figée, qu’elle s’est désagrégée, qu’elle s’est laissée envahir, comme une terre féconde en jachère, par les herbes folles !
A voir son air parfois grave parfois ahuri et incroyablement affligé, on est en droit de se demander…mais où vivait Monsieur Néji Jalloul ? Avait-il besoin de passer par les bâtiments insalubres de ce ministère pour se rendre compte de l’ampleur de la tragédie…alors qu’il est lui-même enseignant et qu’il a vécu comme tout le monde, ce calvaire dont il feint d’ignorer l’existence ???
Alors par quoi peut être expliqué ce show quotidien du ministre, qui, à l’issue de ses pérégrinations dans la faune glauque du non-système éducatif tunisien nous livre, écœuré et dégoûté, ses impressions, trahissant une inquiétude factice, une crainte absolument dérisoire parce que tout à fait simulée !
Le one-man-show quotidien ou presque de Monsieur Jalloul…
Non, le travail de fourmi, consciencieux, efficace, lucide, discret, sans esclandres, sans ondes de choc, sans tsunami médiatique, sans brouhaha et vitupérations, sans caméra et accompagnateurs soudain étonnés, sans cette vague populiste sur laquelle surfe immédiatement tous les ambitieux, non, ça ne connait pas le Tunisien, ça ne l'interpelle pas, ça sert à quoi de faire ce pour quoi on est rémunéré si les petites gens n'en savent rien…ça ne sert à rien, surtout pas au CV et à la carrière.
Que nos écoles soient dans un état de délabrement préhistorique, que nos écoles forment des paraplégiques, que les enseignants trainent lamentablement leurs guêtres dans cet univers kafkaïen comme des âmes en peine au point de trouver les prétextes les plus hallucinants pour s'absenter, ça se sait Si Jaloul, depuis bientôt trente ans, donc vous n’avez découvert ni la roue ni l'eau du robinet, comme vos prédécesseurs, vous risquez d’être un témoin peut-être gênant de cette inertie, de cet immobilisme qui frappe comme une malédiction nos institutions scolaires sclérosées et hors du temps.
Les plus nantis d’entre-nous ont trouvé la parade : l’école privée, de l’oseille en échange d’un savoir de qualité…Quant aux pauvres…qu’ils crèvent, qu’ils choisissent Daech ou Lampedusa !