Vive Métlaoui !! vive Ben Guerdane !!
Non, Rascasse n’est pas un anarchiste encourageant les insurrections du bassin minier ou la gronde des contrebandiers du sud.
Ce qui a poussé ce poissonnier à crier si fort dans le café ce dimanche après midi est beaucoup plus simple et plus terre à terre. Il n’a que faire de ces soubresauts politiques qui ne font que gâcher ses soirées télé et faire parader des mecs qui croient tout savoir sur la manière de sauver ce pays. Non sa joie et sa glorification à ces patelins où il n’a jamais mis les pieds, sont dues, à ses yeux, à des prouesses aussi héroïques que leurs soulèvements lors de la révolution.
Métlaoui venait d’égaliser, en déplacement, contre une des plus riches équipes de football de la capitale et Ben Guerdane de battre un des favoris de ce championnat. Ce qui le fait gagner au promo-sport.
Ce n’est pas qu’il a une vista de cette joute footballistique, mais son raisonnement est très simple : l’Etat cherche par tous les moyens à calmer et pacifier ces foyers de tension et colère, il fera tout pour les aider à se maintenir parmi l’élite du football national.
Rascasse, de son vrai nom Jabeur, a très peu de loisir et le pari sportif en occupe une bonne parti. Il termine généralement son travail vers quatorze heures et quitte l’étal qu’il occupe au marché municipal pour retrouver sa famille dans sa maison à la médina tout près du cimetière marin. Sa femme le dépouille de la recette du jour pour le protéger du démon des jeux et comme elle dit « protéger le pain de ses enfants ». L’après midi il n’a droit qu’à un masrouf juste nécessaire pour payer deux consommations, au cas où il perde aux cartes. Ses paris il les fait grâce à des maigres détournements de recettes que sa femme ne cesse de soupçonner et qu’il continue à nier à grand renfort de déni et de fausses indignations.
Ce soir, il va rentrer assez tard pour attendre l’annonce du montant des gains qu’il espère conséquent au vu de ces deux surprises. Mais cette immense joie est teintée par la peur que sa douce moitié n’apprenne la nouvelle et le sanctionne doublement : une première fois parce qu’il continue à s’adonner à son péché du jeu et une seconde fois pour lui avoir caché son gain.
C’est qu’il n’est Rascasse qu’au marché ou au café, mais devant sa moitié il est plutôt carpe qui n’ose s’opposer à ses « demandes » ni contredire ses instructions. Le fait qu’elle a su parfaitement gérer les affaires de la famille et lui donner d’aussi bons enfants le conforte dans cette posture de mari presque dominé. Il adore sa femme et encore plus ses enfants et il sait pertinemment que tout ce que fait son épouse est pour le bien de toute la famille.
Mais il a envie de profiter de ce pactole pour quelques propres plaisirs surtout qu’il n’accepte jamais de faire nourrir ses enfants par de l’argent Haram.
A dix neuf heures il a su que le montant est de presque quatre mille dinars…
A dix neuf heures dix sept minutes son ticket est confisqué par son beau frère, envoyé spécial de sa femme pour ses expéditions militaires sur sa frêle personne.
Ce malabar, dont le poids est le triple de celui de Rascasse, sait être poli quand il le veut, mais pas quand sa sœur ainée le charge d’une quelconque mission.
A son retour au doux foyer conjugal, il n’a pas été surpris de trouver sa femme presque derrière la porte à l’attendre. Son sourire est une véritable énigme pour lui qui la connait depuis vingt cinq ans.
Est-elle contente de cette manne ?
Est-elle furieuse contre ses turpitudes ?
Il ne savait pas comment aborder le sujet ou même lui adresser la parole. Puis d’un air calme, et après un léger toussotement, il lui affirme qu’il compte bien lui laisser mille dinars…à son regard, il se rattrape « deux milles dinars ». La réaction de sa femme, entourée de ses deux enfants, ne lui laisse pas beaucoup de marge et il concède que pour l’intérêt familial et au vu des besoins pressant des membres de cette respectable famille, il renonce à ses gains pour ne garder que mille dinars et comme ça il y’a un partage équitable de ce butin.
Ce qui a eu l’approbation unanime de tout le conseil familial à la condition que de son mellyoun il achète un nouveau téléphone pour sa fille, paye des cours d’auto école pour son fils et change la batterie de cuisine que sa femme lorgne depuis longtemps.
Après un diner pris dans l’allégresse familiale suivi d’un thé que sa femme s’est empressée de lui offrir, il s’est rendu compte qu’il serait heureux qu’il n’ajoutât de sa poche pour combler les désirs de sa femme et ses chérubins. Il se préparât à entamer une seconde ronde de négociation dans l’espoir d’arracher quelques subsides pour profiter de quelques sorties avec ses amis.
Mais au vue des sourires de ses enfants et du bonheur de sa femme il avalât une longue gorgée de thé et avec un sourire des plus apaisé il pensât « Begla Liha ».