Il n y a pas de plus triste que le visage d’un retraité qui sort d’une agence bancaire où on lui a lassement répété « qu’ils n’ont pas encore versé les pensions ». Encore une journée de quasi-faim, de report d’achat de médicaments et de dérobade de l’épicier du quartier.
Quand, il y a dix sept ans, Salem est parti à la retraite, après 34 ans de service, il était cadre avec tout le rang et standing que ce mot signifiait. Il ne daignait pas faire ses courses chez les épiciers ou superettes de son quartier. Sa pension de presque mille dinars l’autorisait encore à remplir chaque samedi son caddy auprès des hyper marchés de la banlieue.
Le boucher le saluait avec révérence et grand sourire …ou d’un clin d’œil pour lui signifier qu’il doit repasser dans quelques minutes pour lui servir les meilleurs morceaux dès qu’il sera débarrassé de ces clients passagers. Le gardien de l’immeuble lui lavait sa voiture sans demander l’autorisation ni à être payé pour ce service…
Il était SI SALEM…
Depuis, que d’eau a coulé … !!!
Son fils unique s’est marié, mais des problèmes l’ont jeté au chômage. Comme le malheur ne charge qu’en escadrille, son fils a subi un divorce difficile et se retrouve a payer une pension qu’il n’est même pas capable de gagner. Salem se charge de payer cette pension pour lui éviter la prison et l’aider à sortir d’une dépression qui a failli l’emporter…
A son âge les maladies chroniques s’invitent sans crier gare et sa femme souffre de diabète et d’hypertension. Les remboursements de la CNAM sont dérisoires et lents. Il a commencé par vendre sa voiture qu’il n’arrive plus à entretenir puis réduire son train de vie qui était déjà assez modeste.
Les commerçants du quartier ont du surement le remarquer et du statut de « si Salem » il est passé à celui de « Am Salem ». Il en souffre terriblement…mais en toute dignité et silence.
Tout ce passé défile dans sa tête en trainant les pieds pour rentrer chez lui. Il ne peut plus rien demander à son banquier depuis que celui-ci lui a parlé de restriction de la BCT, du manque de liquidité et des risques sur les allocations de retraite…Sa femme n’a plus de médicaments que pour ce jour, son fils doit envoyer son mandat à son ex et le frigo est vide…
Il arrive à maudire tous les progrès de la médecine qui ont augmenté l’espérance de vie jusqu’à en faire un naufrage. Lui, qui a rêvé qu’à cet âge il allait gâter sa famille et ses petits enfants, se retrouve à mendier pour se nourrir, s’habiller et se soigner….mon Dieu !!!
Vlllllaaaannn…
Des témoins disent que le camion roulait trop vite…d’autre jurent que le vieillard n’a rien fait pour l’éviter…