Brahim n’a jamais fait de grève, n’a même pas menacé de le faire. Son patron l’a payé la semaine dernière le même salaire qu’il touche depuis qu’il a commencé à travailler dans cette boulangerie, c'est-à-dire depuis trois ans, trois cent cinquante dinars en billets de dix dinars.
Oh ! Ce n’est pas suffisant pour penser au mariage, mais ça préserve sa dignité en s’abstenant de quémander son argent de poche au paternel. Pourtant, il ne cesse de chercher une solution pour économiser afin d’acheter une moto qui peut lui éviter les bousculades matinales du bus jaune qui le dépose chaque matin dans ce quartier huppé.
Pour son déjeuner, il se contente d’un plat tunisien ou d’un « leblabi » que le gargotier du marché tout proche, lui offre à moitié prix. Dans cette gargote, il rencontre son nouvel ami, Othmane, qu’il vient de connaitre à la mosquée d’en face. C’est le seul moment de réconfort de la journée où il se sent important puisque quelqu’un s’intéresse à sa petite personne et essaye de l’aider pour sa moto.
Il lui arrive même de lui payer un œuf supplémentaire pour son plat, une boisson ou un dessert. En plus, il lui propose souvent de le déposer dans son quartier avec son vieux tacot. Brahim trouve beaucoup de plaisir le long de ce trajet à écouter un discours apaisant et didactique.
Il se sent devenir plus intelligent et comprend mieux cette injustice qu’Allah n’a jamais voulue pour ses créatures. Si la justice divine était strictement appliquée, il n’y aurait plus de pauvres, de délaissés, de voleurs, de drogués, de soulards, de putes…
Othmane trouve injuste ce salaire pour un jeune aussi ambitieux, honnête et droit. Il encourage Brahim à chercher un autre travail, à viser d’autres objectifs et à épouser d’autres ambitions. Mais il ne faut surtout pas s’attacher aux choses aussi futiles et furtives de ce bas monde alors que nous sommes promis à l’éternité d’une « Jenna » où la jouissance, la volupté et les plaisirs seront les récompenses d’Allah à ses élus.
Il lui parle même de l’aider pour un voyage passant par la Libye et la Turquie…
Brahim lui promet d’y réfléchir, seul, et de n’en parler à personne.