C’est une large rampe, en dur, du début de l’immense escalier qui mène au deuxième niveau de la fac où se trouvent les accès à la bibliothèque.
Et c’est là que nous avions pris nos premières leçons de politique, que certaines décisions « historiques » ont été proposées ou prises : boycotter Coca-Cola pour punir les USA, décréter le 30 Avril journée d’espoir et de militantisme, décider d’une grève pour fêter la libération de Saigon (pardon Hô-chi-Minh-ville), jurer la mobilisation éternelle et permanente jusqu’à la libération totale de la Palestine....
Il suffisait que quelqu’un monte sur cette estrade et claque les mains en criant «Ya Rifa9, Ya Rifa9 .. » (Camarades, camarades…) pour que la foule se rassemble et la joute oratoire commence. Ça peut durer des heures et faire défiler des dizaines d’orateurs.
Tout autour, les murs étaient couverts de Dazibao que certains tentaient de lire. Chaque faction, ou groupe, se réservait un pan de mur pour ses publications et montait la garde pour que personne n’y touche.
Sur le plan national on n’avait qu’un seul ennemi le PSD, le parti unique, le parti-Etat. La plus grave accusation, ou insulte, qu’on puisse faire à quelqu’un c’était «Yè Destouri ». Les « Inbita7i إنبطاحي », « Ziءba9i زئبـقي», « Intihazi إنتـهازي» « Ta7rifi تـحريفي », « Rij3iرجعي »…étaient presque pardonnables mais pas « 3amil عميل » ou collabo…jamais.
Il n’y avait pas encore d’islamistes, ou très minoritaires et rares. Nous étions presque tous unis sous les bannières des « Hayakel anna9abia el moua99ata » (les structures syndicales provisoires) de l’UGET mobilisés pour organiser le 18ème congrès extraordinaire…
Bien sûr, les différences de tactiques et de stratégies, pour atteindre cet objectif ou abattre ce régime dictatorial et instaurer la démocratie, l’égalité, la justice et la liberté formaient les sujets de débats qui duraient des éternités… Mais souvent de subtiles nuances faisaient éclater des groupes et déclencher des escarmouches et bagarres…
Les cercles de discussions étaient de véritables marathons, on commençait par un sujet bien réel pour se retrouver six heures après sur un autre problème … Classer et établir l’ordre des termes « pain, dignité et liberté » comme slogan à scander lors de la prochaine manif (..خبز…حـرّيـة…كـرامـة وطـنـيّة.) peut prendre des heures de discussions « savantes » avec citations et évocations historiques et révolutionnaires…
C’est là que certains leaders politiques actuels ont affuté leurs premières armes et c’est peut être là qu’il faut remonter pour diagnostiquer leurs maux actuels. Bochra, Radhia Hammami ou Sana Ben Achour, marquaient souvent leurs présences dans ces cercles…sans prise de parole de leurs parts.
Sofiane.B.F a pris plusieurs bastonnades à cause de ses positions versatiles…
Tous les rêves étaient permis …et on en faisait des tonnes.
Quand on se lassait de ces joutes, on se retirait à la cafétéria pour des homériques parties de belote ou à la bibliothèque pour rattraper les cours sautés…On avait la rage de réussir dans tout ce qu’on entreprenait : études, défense de nos idéaux et principes, projets ou…drague.
(À suivre)