Monsieur le Chef du Gouvernement,
Depuis Mai 2017, nous avons bien noté et apprécié votre engagement ferme dans la guerre contre toutes les formes de corruption ainsi que toutes ses sources. Naturellement, nous vous réitérons notre soutien inlassable et irrévocable, et nous répondons ‘‘présents’’ à tout appel de mise à contribution des composantes de la société civile dans votre œuvre d’assainissement et de moralisation.
Toutefois, nous avons comme l’impression que le Président de la République n’a pas bien compris les motivations de votre engagement dans la lutte contre l’infrastructure de la corruption, et qu’il n’a pas saisi les retombées d’une telle guerre tant sur le plan socio-économique que sur le plan sécuritaire du pays.
Bien au contraire, ses conseillers semblent l’avoir induit en erreur en le poussant à soumettre une loi de réconciliation avec les catalyseurs de la corruption ayant collaboré auparavant avec la mafia de la dictature de Ben Ali. Cette loi vient inhiber l’exécution de vos plans d’actions et risque de mettre un terme à votre engagement.
Par ailleurs, l’ex Ministre de Ben Ali chargé des Finances ne semble pas vous faciliter la tâche avec le projet de Loi de finances 2018. Bien au contraire, je ressens beaucoup de laxisme dans ses livrables, pouvant cacher une forme d’indulgence, voire de générosité, à l’égard des champions de l’évasion fiscale et des barons du traficotage douanier, sans parler des récidivistes de la fuite de capitaux.
Avant de penser à étrangler la classe moyenne et à ruiner la classe à revenus intermédiaires, par l’institution de nouveaux impôts, tout Argentier honnête aurait veillé à la bonne application de l’arsenal fiscal en vigueur, dont les dispositions demeurent partiellement ou totalement inactivées.
A ce titre, il y a lieu de noter les phénomènes suivants :
a) Les créances fiscales et douanières impayées n’ont pas fait l’objet d’actions de recouvrement, ni amiable ni judiciaire.
b) Le plan de réforme fiscale approuvé en 2014 demeure en veilleuse, pourtant renfermant des mesures contributives judicieuses visant l’élargissement du périmètre des contribuables et l’évolution vers équité fiscale.
c) Le processus déclaratif de certains segments des BNC, tel que défini dans LF'2016, n'est pas appliquée depuis janvier 2016, d'où la persistance de rendements lamentables.
d) Les caisses enregistreuses ‘‘salon-restau’’ n'ont pas été généralisées, d'où un manque à gagner substantiel pour les recettes de 2016 et 2017.
e) Le plan de numérisation des factures relatives aux marchés publics, ou relatives au commerce extérieur, n'a pas été mis en place depuis janvier 2017.
f) Les professeurs de cours particuliers et assimilés, qui se font plusieurs fois leurs salaires officiels, ne déboursent rien au fisc sur leurs prestations privées.
g) Les investisseurs du secteur foncier & immobilier continuent de bénéficier de la prescription fiscale au titre de droits d’enregistrement sur les contrats d’achat dormant au-delà de 10 ans.
h) Les réseaux d’économie souterraine n’ont pas encore été démantelés, bien que les principaux barons soient notoirement connus
i) Le laxisme de l’administration aux finances publiques persiste face à la délinquance économique sans être sévèrement sanctionné.
Sur le moyen terme, aucune réflexion stratégique n’a été conduite, depuis qu’il fut désigné conseiller économique à la présidence de la république, en vue d’améliorer le recouvrement des créances fiscales, de consolider le rendement de collecte, et de diversifier les sources de prélèvement.
Autant je suis opposé à une politique de privatisation des affaires en difficulté avant d’en identifier les causes et sanctionner les responsables, autant je suis favorable pour la concession de la ‘‘collecte des recettes fiscales’’ à des Opérateurs dédiés susceptibles d’investir pour améliorer l’efficacité du recouvrement et diversifier les sources de prélèvement obligatoires :
1) Recrutement de ressources humaines adéquates: investigateur, collecteur, recouvreur, contrôleur, ….
2) Elaboration d’un Système d’Information puissant : suivi des recettes, pilotage du recouvrement, dispositif d’alertes …
3) Installation de caméras de surveillance dans les zones à risques pour capter toutes sortes d’infraction (lieu public, port, …)
4) Installation de radars en villes et sur les routes pour identifier toutes sortes de dépassement (vitesse, feu, stop, …).
5) Formation et réorganisation structurelle de l'administration selon le modèle des lignes de défense, permettant entre autres de mesurer analytiquement la productivité de l’Administration en vue de récompenser la performance et sanctionner l’insuffisance.
6) Autres sources : protection de l’environnement, dédommagement des dégâts causés aux biens publics, etc.….
A ce titre, permettez-moi de rappeler que sous d'autres cieux, quand un automobiliste heurte involontairement un poteau lumineux ou tout équipement public, on est sommé de payer les frais de réparation directs et indirects et ce, grâce à son identification par les caméras de surveillance ou à travers les dénonciations par des passagers ou voisins (Cf Allemagne).
Monsieur le Chef du Gouvernement,
Si le projet de Loi de Finances ne venait pas à être revu sérieusement de fond en comble dans une logique d’application des dispositions fiscales en vigueur et de capitalisation sur le plan de réforme fiscale approuvé, vous risqueriez de voir votre ‘‘capital confiance’’ s’abîmer et s’effriter.
En outre, si le texte final de la Loi de Finances maintenait les mesures de sur-taxation des contribuables disciplinés, sans privilégier l’abolition de la discrimination fiscale par l’application généralisé des règles de prélèvement, et sans traquer prioritairement les fraudeurs et les malfaiteurs, la Tunisie connaîtrait un mois de Janvier 2018 très chaud, voire plus explosif que janvier 1978 ou janvier 1984.