Les combats de Chahed

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Mais quelle mouche a donc piqué Béji Caïd Essebsi pour précipiter la nomination du nouveau chef de gouvernement ? Il avait 10 jours à compter du départ d’Essid pour le faire. A quoi bon, ont servi toutes ces palabres, durant deux 2 mois, à coups d’effets d’annonce et de gesticulations grandiloquentes ayant pour thème “l’initiative présidentielle d’un gouvernement d’union nationale” ? Avec le concours de nombreux partis et organisations nationales, si c’est, au final, pour leur dicter son choix. Rien d’autre que son choix.

Il n’était pas question du remplacement d’Essid par n’importe quelle figure du paysage politique, mais bien par une personnalité indépendante, loin des querelles partisanes. C’était tout l’enjeu de cette étape. Parce que si tel était le cas, Essebsi aurait pu régler le problème en quelques jours avec le seul renfort de son nouvel allié majeur qu’est à présent Ennahdha. A la façon d’une sorte de “grande coalition” à l’Allemande. Quitte à la faire adouber par les menus partis que sont l’UPL, Afek et Moubadara.

Le président de la république, garant des institutions, est ainsi sorti de son rôle d’arbitre pour imposer sa préférence. En finassant, au grand désarroi de tous ceux qu’il a convié à le rejoindre dans son initiative. Pourtant, la plupart des participants étaient prévenus et instruits par l’expérience, quand on se souvient de l’épisode qui a implosé l’Union pour la Tunisie, plate-forme dédiée à réunir les partis rétifs à la Troïka.

A quelle fin, a-t-il donc recouru à cet expédient, prenant le risque de davantage discréditer son action ? C’est bien lui seul qui avait imposé l’atypique Essid. Décision qui s’est muée en erreur de jugement au fil des 18 mois de sa gouvernance irrésolue. De surcroît, il vient de récidiver, en usant de la même démarche solitaire, la mystification en sus.

Dans le but de définir une nouvelle politique ? Vraiment ? Il a donc fallu deux mois pour identifier et synthétiser 5 points cardinaux (lutte contre le terrorisme, lutte contre la corruption, contrôle de l’équilibre budgétaire, création de la croissance pour la promotion de l’emploi et le développement régional, la sauvegarde de l’environnement dans les villes et localités), le tout sur fond de regain d’efficacité du travail gouvernemental. Un catalogue qui prend maintenant les allures d’un inventaire à la Prévert, et que l’on retrouve d’ailleurs, point par point, dans le discours d’investiture d’Essid en Février 2015 et même dans celui de son prédécesseur, Jomaa en Janvier 2014.

Au lendemain de l’ITW présidentielle du 2 juin lançant ladite initiative, la question n’était pas de savoir quelle politique conduire, mais avec quels hommes la mener ?

Pourquoi dès lors, prendre le risque de brûler un intéressant et séduisant profil comme celui de Chahed, à coup sûr une des rares personnalités de sa génération, celle arrivé au lendemain de la Révolution, à cultiver le sens de l’Etat (il est vrai qu’en comparaison au comportement des Aidi, Brahim, ce n’est pas tout à fait une performance). Même s’il n’a, jusque là, qu’un mince pedigree se limitant à la prise en charge d’un secrétariat d’Etat à la pêche et du ministère des collectivités locales.

Pour enfoncer un coin à Marzouk et ses partisans, à la suite du 1er congrès du Machrou où le nom du président de la république s’est fait copieusement hué par l’assistance ? Pour également tenter d’amadouer les organisations financières internationales qui attendent de pied ferme la Tunisie, l’œil rivé sur les échéanciers, en se disant “ils n’oseront pas maintenant que je leur ai mis un jeune quadragénaire pour diriger le pays” ?

Un peu de tout cela peut être, mais cela ne fait pas une bonne politique…

Par contraste, en matière de préparation de la relève, Ghannouchi s’est montré, plus avisé que Béji Caïd Essebsi. A son protégé Laadhari, alter ego de Chahed en terme générationnel et d’envergure politique, il lui a confié la charge de Secrétaire Général de son mouvement. Escomptant pour lui un posté clé dans le futur gouvernement: rien de tel pour continuer à se faire les dents à l’abri des tumultes.

Mais alors pourquoi exposer aussitôt, Chahed à une hostilité qui sera croissante et qui prendra la forme de cercles concentriques qui naîtront d’abord dans son propre camp pour aller au-delà, jusqu’à la famille élargie du temps des marches du Bardo ?

1er cercle :

A l’intérieur de sa famille politique (Nida qui prend de plus en plus le chemin d’un Nadi) où les clans pullulent. Notamment, celui de Hafedh, Toubel, Khamassi qui n’auront de cesse de lui tenir la bride sur le cou. Celui de Karoui, lequel, parle déjà de trier les 20 à 30 candidatures arrivées au bureau d’ordre du parti sous la forme de ... missives. A supposer que Chahed fasse 5 contents parmi eux, il y aura, au bas mot, 15 mécontents qui vont s’ajouter aux perpétuels franc-tireurs que sont les Remili, Belhaj et éternels trublions que sont les Ksila, Akremi. Et qui ne feront que lui mener la vie dure.

2ème cercle :

Auprès des anciens petits camarades de parti que sont devenus les schismatiques du Machrou, lesquels seront pour lui, à n’en point douter, de redoutables détracteurs et de féroces contempteurs se tenant en embuscade pour lui savonner la planche afin de mieux embarrasser Essebsi.

3ème cercle :

Vis à vis des rivaux d’Afek croyant détenir le monopole de la jeunesse et de la compétence (de ce point de vue, ils sont les premières victimes collatérales du choix de Essebsi) et qui épieront chaque fait et geste du nouveau chef de gouvernement dans l’espoir de le voir trébucher au moindre signe de fléchissement. Quant aux concurrents de l’UPL s’ils trouvent sa désignation comme “révolutionnaire” du fait de sa jeunesse, ils la jugeront contre-révolutionnaire dès l’apparition des premières frictions avec lui.

4ème cercle :

Face à l’impressionnante cohorte des désappointés du Bajboujisme (Massar, Joumhouri, Echaâb, Jabha) qui n’auront qu’une hâte, celle d’en découdre avec Essebsi et ne verront en Chahed que l’aimable courtier de son mentor.

Cela fait beaucoup pour un jeune homme, si téméraire et si talentueux soit-il.

Pour l’heure, nul doute, qu’il fera sienne cette citation attribuée à Voltaire “ gardez moi de mes amis, de mes ennemis je m’en charge”.

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