Une actualité chassant l'autre, les médias plus avides que jamais de sensationnel, n'accordent plus de place à l'analyse de l'onde de choc de cette journée du 6 mai et de ses soubassements.
Désormais, ils n'entendent plus traiter que des grands arrangements et petites compromissions (et vice versa) pour les alliances ainsi que contre-alliances qui ne vont pas manquer de surgir dans la perspective de la désignation des futurs présidents des conseils municipaux des grandes et moyennes agglomérations.
Les résultats préliminaires des municipales, élection intermédiaire s'il en est, tardant à être communiqués par l'ISIE, on peut donc se hasarder à quelques impressions.
Ainsi, cette journée du 6 mai restera dans les souvenirs, tout d'abord, par la piteuse embardée du fils du proprio de la "batinda" se fendant sur les réseaux sociaux d'un appel au peuple pour sauver le "projet sociétal Tunisien" qui restera un grand moment de fumisterie politique.
A la lumière des résultats et au regard du corps électoral, la légitimité de cette élection est battue en brèche puisque seulement 22% d'électeurs se sont exprimés, dont pour l'essentiel : 7% ont voté Ennahdha, 6% ont choisi une liste indépendante, 5% Nidaa et le reste à l'avenant.
Au vu de l'impopularité de ce gouvernement "d'union nationale" et par ricochet de la classe politique dans son ensemble, le signe le plus tangible qu'il n'y a pas eu un vote réellement protestataire dans le pays, pourrait être mesuré dans le choix des électeurs de ne pas se rendre aux urnes. Lesquels ont préféré l'abstention (autour de 65%) c’est-à-dire, le pis-aller plutôt que la sanction.
La permanence d’Ennahdha dans les radars électoraux (autour de 29% des suffrages exprimés) valide son improbable et double pari, celui de soutenir un gouvernement branlant et de rester incontournable dans notre système politique.
Si la présence de ce parti est toujours d'actualité, la méfiance et l'aversion qu'il suscite sont toujours de mise. Il ne reste plus à son leader que de s'inspirer d’Arafat et pourquoi pas, déclarer publiquement qu'il envisage un streap-tease, histoire de désarmer (peut-être) toutes les préventions…
La dégringolade de Nidaa d'une élection à l'autre (37% à 22%) ne s'explique pas par son alliance avec Ennahdha, mais parce que ce parti s'est désagrégé au fil des années et a été investi de nouveaux bons premiers de ….seconde catégorie. Il est vain de les compter tellement ils sont légion.
Quant aux Machrou, Afek et Badil, à l'idéologie en contre-plaqué, ils ont fait choux blanc, en dépit des tonnes, kilomètres, m3 et hectolitres de temps de passage sur les antennes et ondes accordés à leurs figures médiatiques. Pour les deux premiers, la leçon est bigrement plus rude, quand on sait qu'ils ont tenté de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, multipliant les candidatures à travers tous les supports possibles (parti, coalition de partis, et même … listes indépendantes).
De quoi faire perdre son latin à l'électeur, déjà en butte à des difficultés d'interprétation de l'offre politique. Et encore, il parait qu'ils ont manqué de peu, de participer aux nombreuses élections socio-professionnelles de la place pour améliorer leur performance… Résultat des courses : des scores infâmants partout où ils se sont présentés.
En ce qui a trait au résultat du Tayyar, annoncé comme un remarquable succès, il est, hélas, en trompe-l’œil et ne résiste pas à l'analyse. Lors des législatives de 2014, ce parti se situait à 2,1% des voix exprimées obtenant 65 000 voix. A l'issue de ces municipales, il se hisse péniblement à 4% avec 70 à 75 000 voix. Certes, il double son pourcentage, mais au niveau du gain en voix, il plafonne.
Et ce, en dépit de sa fusion-absorption opérée sur le « Tahalof », lequel, pointait à 1,3% des suffrages pour 43 000 voix lors des législatives de 2014. Soit la moitié du socle électoral du Tayyar ! Il y a donc loin de la coupe aux lèvres. Avec un tel réservoir de voix, ce n'est pas, le moins qu'on puisse dire, un résultat renversant.
Or, depuis sa création, il y a 5 ans, et à l'issue de deux scrutins consécutifs, il ne dépasse pas la barre toute symbolique de 5%. Dans la plupart des pays, un tel plafonnement (à l'évidence on ne peut pas parler d'évolution) prêterait à sourire, chez nous on parle de percée… Bref, de quoi inciter à la modestie et à l'humilité, ce sympathique parti. Et lui rappeler que Macron, "En marche !" et sans parti, ni bicyclette, a tout emporté sur son passage en moins de 9 mois.
La confirmation du peu d'enracinement du vote ouvrier incarné par la Jabha. Après les constituantes de 2011 (2,5% pour 96 000 voix lorsqu'on additionne le Pcot et le Watad), les législatives de 2014 (3,7% des suffrages pour 125 000 voix) et à présent, les municipales de 2018 la situe autour de 2%. Il s'avère donc qu'à chaque élection depuis 2011, cette coalition de partis est à moins de 5%. On comprend mieux pourquoi ses dirigeants préfèrent, parfois (notamment dans leur moment de découragement) la rue aux urnes…
Concernant la spectaculaire entrée en scène des indépendants, ce n'est pas sur leur programme mais sur leur "équation personnelle" qu'ils ont, quant à eux, percé. Mais si les notabilités locales que sont les F. Moussa, S. Meherzi, H. Ben Fadhel, qui partagent en commun d'être passés, plus ou moins furtivement, par des partis (Massar, Takatol et Afek) ne se fédèrent pas dans un vaste mouvement structuré, ce ne sera que l'éclosion de quelques baronnies contrôlant des fiefs sans plus (La Marsa, Ariana, etc).
Ainsi, à la profusion des partis (202) qui mine notre paysage politique, va s'ajouter, dorénavant, l'émergence de féodalités locales. Il ne nous manquait plus que ça…
Et en filigrane, dans la perspective des futures échéances de 2019, un paysage politique en forme de puzzle indéchiffrable : pas de quoi pousser, sur le chemin des urnes, les nombreux sceptiques et indécis que compte le pays…
Enfin, dans ce tableau que penser de l'infortuné chef de gouvernement, qui a eu la mauvaise idée de s'associer, en battant campagne pour les siens, à leur déroute ?
Qui va donc tirer les enseignements pour lui ? Béji Caïd Essebsi ou l'Ugtt ? Ou alors, probablement les deux…