L'histoire est écrite par les vainqueurs et la nôtre n'a pas échappé à cette règle, elle sera probablement remaniée, entrouverte à ceux et à celles qui en ont été écartés par la volonté de Bourguiba ou par le zèle de ses hagiographes. Le gâchis fut tel après l'indépendance que l'escamoter serait offensant à l'égard de ceux qui avaient pressenti la dérive despotique d'un régime et en avaient averti les prémices. J'aimerai rappeler aux plus jeunes, que le bourguibisme ne fut jamais une idéologie ou une pensée politique cohérente et structurée, c'est plutôt l'intuition, l'instinct et le sens de l'opportunité d'un homme qui construisit sa légende grâce à son pragmatisme d'un côté, et son charisme de l'autre, il se prévalait de cette posture du séducteur et n'envisageait pas que l'objet de sa séduction fût partagé par d'autres...une mégalomanie pas du tout austère, plutôt babillarde et spectaculaire, toujours en démonstration. La contrefaçon d’aujourd’hui est bien dérisoire quand bien même elle reproduirait le mythe pour rassembler les aigris et les nostalgiques...c'est peine perdue...pourvu qu'ils le comprennent!
Culte des morts…culte de la personnalité.
Le temps semble s'être figé et pire il marche à reculons. Ailleurs on avance, ici on ne stagne même pas, pire on recule…
Le passé et ses fantômes planent sur une certaine Tunisie nostalgique des fastes de la mégalomanie et de son aura divine.
La chaîne publique diffuse en noir et blanc et hormis le journal télévisé, elle nous impose ses archives, comme si le présent était devenu stérile.
Un tel, par pure démagogie, trouve une priorité, une urgence à un pays qui est au bord du gouffre: remettre à leur place les statues du leader Massimo, car ce nain, ce leader minimo se croit une destinée intergalactique et prépare une succession dont il rêve en s'improvisant bourguibiste, alors qu'il n'en a rien à cirer de Bourguiba et de son cheval…tout comme son patron qui n'a pas crié à l'hérésie quand le sbire mafieux a déplacé lesdites statues, c'était à l'aube, profitant du clair-obscur, comme un vilain voleur.
A l'aube, comme les escrocs, les cambrioleurs et les truands, un Général destitua le Président Bourguiba et mit fin à une "dictature éclairée" (j'aime les euphémismes) agonisante et sénile. Ce geste salué par la foule comme un acte de bravoure et d’héroïsme, inaugura une culture putschiste dont s’accommodèrent de vaillants démocrates, de preux progressistes et la fine fleur de l'intelligentsia tunisienne. Le nouveau bail tyrannique perdit le lustre de Bourguiba, son charisme et sa grande culture si bien qu'on ôta à la dictature l'épithète, devenue entre-temps impropre, « éclairée». Les plus téméraires parmi les lexicologues fouillèrent dans les dictionnaires et ce pendant 23 ans pour trouver les qualificatifs adéquats: "mafieux, kleptocrate(néologisme), criminel, corrompu, infâme, abjecte, tyrannique(pléonasme),illettrée, ploutocrate…".Vous ne me voyez pas venir…tant pis!!!
Quand à l'époque de Ben Ali, certains opportunistes sans doute fatigués de tant d'années de militantisme sont allés rejoindre les rangs de la mafiocratie, rares sont ceux qui furent scandalisés par cette mésalliance et nous eûmes droit aux courbettes les plus tragiques de l'histoire récente de la Tunisie. Les sophismes les plus audacieux et les plus invraisemblables furent prononcés avec cette indignité éhontée des plus grands scélérats et des judas les plus fourbes. Que de prêches enthousiastes furent entendus, que de sermons de paroissiens défroqués furent prononcés à la gloire du tyran et de sa camarilla!!!Après le 14 Janvier, on s'est dit, certains en catimini…pour ne pas gêner des "amis" compromis jusqu'au cou, que cette engeance allait se dissiper, discrètement, sur la pointe des pieds, et qu'on sera indulgent de ne pas les insulter…ils ne méritent pas le moindre postillon, ils n'ont aucun honneur.
Mais c'était compter sans leur goût immodéré et probablement immoral du pouvoir, de son faste, de ses privilèges, de son lucre…oui, le pouvoir n'use que ceux qui ne l'ont pas!!!
Ils trouvèrent de nouveaux parrains, de nouveaux malfrats, quelques sales accointances dont ils profitèrent pour rebondir et occuper avec ce si dérisoire irrespect de soi-même et l'espace médiatique soucieux de collaborer avec les torchons de l'ancien régime et l'espace politique dont la vague ressemblance avec un lupanar n'est guère une illusion. Equipés de leur docte savoir en matière de complots, de mensonges, de trucage, de manipulation, de propagation de rumeurs, de falsifications en tous genres, de délation, d'usage abusif de l'appareil de police, des indicateurs, des brigands, des criminels, de ce magma purulent où surnagent les créatures les plus abjectes et les plus infectes, ces Méphistophélès surent se rendre utiles voire indispensables et se mirent à la disposition de cette meute enragée qui n'a pas capitulée après le 14 janvier et qui rêva d'un retour triomphal au pouvoir à la faveur d'une cabale, d'un coup d’État, de quelque chose qui s'apparente à une énième trahison, sauf que cette fois-ci, le trahi ne sera pas Bourguiba…mais une partie du peuple tunisien qui a eu le tort, selon eux, de croire en sa révolution…"révolution des gueux" disait l'un des leurs, pour vous dire combien ils tiennent en estime un peuple auquel ils ont tout confisqué jusqu'à son droit à l'opprobre…
La versatilité du Tunisien aidant ainsi que sa propension à pardonner l'impardonnable, ils passèrent à la vitesse supérieure, soutenus en cela par cette "vieille Tunisie pleutre, mignarde, réactionnaire, un brin suspecte quant à son amour de la liberté et de la démocratie."Nourrissant chaque jour un peu plus et à dose homéopathique les craintes et phobies d'une bonne frange des Tunisiens acquise à un anti islamisme primaire et instinctif longtemps instillé par le benalisme, jouant sur tous les amalgames et désignant à la vindicte publique les hommes de qualité qui osèrent contrarier leurs sombres desseins, ils pratiquèrent le maccarthysme à outrance pour noyer toutes les voix discordantes qui provenaient des vrais progressistes, ceux qui n'ont pas pactisé avec le diable et qui n'ont jamais renoncé à un idéal de société en lequel ils ont toujours cru. La traque commença avec cette virulence et cette infamie dont est capable cette meute mugissante et malfaisante de médiocres: tel est devenu le laquais des nahdhaouis, tel autre s'est soudainement abruti au point de défendre l'obscurantisme. Bravant toutes les intelligences, ces êtres ternes et sans convictions, ces péripatéticiens de la duperie encensèrent un général putschiste en Égypte, s'abandonnèrent aux pires orgies intellectuelles afin de transformer un Assad sanguinaire et crapuleux en gentil démocrate…Leurs idoles sont des Pinochet, des Pol Pot, des fascistes, rien de particulièrement étonnant quand on sait à quel râtelier ils ont mangé!
Il y a des idolâtres indomptables qui créent les mythes et souscrivent à leur mégalomanie…et.non contents de leur vassalité intellectuelle, ils osent apostropher avec quelque insolence ceux qui osent ébrécher l'histoire des monuments qu'ils encensent, Bourguiba fut un dictateur…éclairé, paternaliste, honnête, intelligent, grand visionnaire…mais dictateur…qu'on ait du respect envers le grand homme qu'il fut, certes, mais qu'on maquille les faits et qu' on associe la flagornerie à la vénération afin d'accréditer je ne sais quelle thèse messianique destourienne…non, cette sournoiserie ne passera pas…trouvez d'autres idiots utiles!
Bon, soyons clairs et sérieux: on ne va ressusciter ni Bourguiba ni le bourguibisme…qui à ma connaissance n'est ni une idéologie ni une philosophie…mais une succession de décisions et de réformes inspirées du pragmatisme de Bourguiba, de sa remarquable intuition politique et du modèle sociétal qu'il voulait imposer, parfois avec l'argument subtil et intelligent, parfois avec la force de la poigne. Bourguiba, pour les plus jeunes, qui ignorent tout de son parcours politique, était un bon père de famille, un patriote passionné et passionnant, un dialecticien hors pair, surtout quand il improvise, moderniste convaincu, réformateur perspicace, lucide et audacieux…son charisme et sa forte personnalité lui épargnèrent la contestation jusqu'en 1978…quand le mythe commença à s'ébrécher…parce que Bourguiba n'était pas un démocrate, c'était un dictateur «éclairé » mais despote il fut…jusqu'à sa destitution.
Autoritaire, mégalomane, fourbe, il avait peu d'estime pour son peuple dont il voulait façonner et l'esprit et le mode de vie…la Tunisie était sienne et tout partage du pouvoir l'offensait au point qu'il n'hésita jamais à sacrifier ses proches collaborateurs pour préserver le pouvoir. Il fut davantage monarque que président et jugea bon, en 1981, de falsifier les résultats du scrutin alors que son parti, le PSD, les avait perdues au profit du MDS de Ahmed Mestiri. Au cours des années 60, la gauche perspectiviste eut droit à ses procès politiques et ses militants furent condamnés à de longues années de prison. Répression, brutalité, arrestations, torture, intimidation…furent à l'époque des instruments efficients pour obliger au silence la dissidence et l'opposition progressiste. Ensuite, vint le tour de l'UGTT, du MUP, du POCT…tous subirent l'ire de Bourguiba et sa volonté d'éradiquer toute forme de contestation politique et sociale.
La montée de l’islamisme en 1980 ne l’inquiéta point, il crut trouver en eux des alliés de circonstance pour affaiblir la gauche à l’université et la décapiter.
Or, quand il comprit que l’islamisme gagnait du terrain et qu’il avait les faveurs de la Tunisie déshéritée et marginalisée, il les persécuta sans répit et sans état d’âme.
Alors, je m'autorise à dire aux héritiers de Bourguiba que le legs est celui-là et que se réclamer de ce legs c'est se réclamer de tout cela! Quant à ceux, bien prétentieux, qui osent la comparaison…je leur rappelle que Bourguiba, le cynique, est inégalable…qu'ils se gardent donc de se comparer à lui. Si ce Monsieur avait une vertu…c'est la probité et l’honnêteté…Son amour de la patrie ne souffre aucun doute…Respectez le mort, soyez bons démocrates et patriotes, et donnez-vous une identité politique franche et sans déguisements. N’ayez pas honte de votre passé de destouriens et ne vous identifiez pas au passé…car, à certains égards, il fut bien scabreux…même si vous voulez entretenir l'illusion que les 23 années d’État mafieux et scélérat ne vous concernent pas, ayez le courage, si vous en avez, et la décence, si vous en êtes capables, de demander pardon et que les crapules parmi vous se retirent sur la pointe des pieds et acceptent les sentences des hommes et de l'histoire…car leurs innombrables forfaits nécessitent jugements et punitions. Le parti communiste existe encore en Russie et ailleurs, malgré les goulags et Staline…alors, enlevez le masque de Bourguiba et jouez à découvert! Didi