Taoufik Boughedir, témoin d’un siècle !

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L’oncle et le monument racontés par le neveu !

Taoufik Boughedir, né le l8 novembre I916 à Tunis (décédé le 2 Janvier 2010), au quartier populaire de Halfaouine (issu d'une grande famille de lettrés, son père, feu Ali Boughedir, était libraire dans la Médina de Tunis.)

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Père de cinq enfants, dont Férid, cinéaste, critique de cinéma, journaliste international et professeur de Cinéma à l'Université de Tunis. Farouk, homme de radio et expert en Industrie pharmaceutique, et Wassim, professeur à l'lnat entre autres, Si Taoufik Boughedir a été tout au long du siècle une figure légendaire voire mythique (grâce à son talent d’une part, et à sa longévité exceptionnelle d’autre part) de la scène médiatique et culturelle tunisienne.

Véritable touche-à-tout, il excella dans toutes les activités qu'il exerça avec passion, enthousiasme et abnégation, laissant derrière lui une œuvre colossale embrassant des domaines de culture divers: journalisme, théâtre, calligraphie, caricature…

Le Journaliste…

Taoufik Boughedir fut l'une des figures marquantes de la jeune Radio tunisienne, précurseur dans la dramaturgie radiophonique, il écrivit de nombreuses pièces jouées par les acteurs et actrices les plus illustres de la Radio tunisienne.

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Sa carrière à la radio fut entamée bien avant l’indépendance, au moment où la Tunisie était encore un protectorat français, et fut poursuivie avec la même réussite longtemps après, quand Si Taoufik fut producteur de deux chroniques radiophoniques quotidiennes -—"Sabah El Khaïr“ et “Ibra wa nagham”— qui lui valurent l’estime de tous les auditeurs, si bien que ses deux chroniques furent programmées sur les ondes et d'une manière ininterrompue pendant presque une vingtaine d'années (1960-1980).

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Outre sa carrière radiophonique, Taoufik Boughedir se fit remarquer par ses talents de journaliste perspicace, objectif et courageux. Il s'investit très jeune dans cette tâche qu’il considérait comme une mission noble et vertueuse, et dès les années 30 il commença à affuter ses premières armes auprès de deux grands quotidiens de la capitale “Ezzohra” et « Ennahdha » où il avait été désigné commentateur attitré et avisé des grands événements politiques mondiaux.

Doué d'une intuition extraordinaire et d'une lecture particulièrement intelligente des événements, il prophétisa avec quelque bonheur dans ses écrits l'inéluctable défaite du nazisme au moment où Hitler était au faîte de sa puissance ; cette prémonition « confirmée » quelques années plus tard, fut à l'origine de sa renommée et conduisit les grands journaux de la place à se disputer cette belle plume qui était à l'orée d'une notoriété dont personne ne soupçonnait jusque-là l'éclat.

C'est ainsi qu’il collabora avec tous les journaux de langue arabe dont notamment « AI Amal »où il fut responsable de la culture. Auparavant il avait fondé en 1951 avec feu Hédi Laabidi, Habib Cheikhrouhou et Habib Chatty le journal “Assabah”. Il fut rédacteur en chef de plusieurs journaux et revues tunisiens, dont la revue de la Radiotélévision tunisienne.

Critique culturel hors pair et surtout critique dramatique (selon Ezzeddine Madani, ses articles couvriraient deux gros volumes), il s’initia aussi avec la même réussite, à la critique picturale, et ses appréciations étaient attendues et redoutées par la plupart des artistes tunisiens. Dans ses critiques aussi bien théâtrales, musicales ou picturales il savait, contrairement à d'autres journalistes plus conservateurs, rester à l'écoute et encourager les nouvelles générations de créateurs, y compris ceux qui pratiquaient l'expérimentation et l'avant-garde.

L’artiste…

Cet homme-orchestre, polyglotte (bachelier du Lycée italien de Tunis, il pratiquait aussi parfaitement l’arabe et le français), dont l'éclectisme s’accompagnait de brio et d’ingéniosité, fut également calligraphe et enseigna la calligraphie à l'École Normale de Tunis. Grand passionné de théâtre et comptant de nombreux amis dans le milieu théâtral tunisien (de Hamda Ben Tijani et Mohamed Agrebi à Aly Ben Ayed), il a été secrétaire général de plusieurs troupes de théâtre dont celle de sa ville d'adoption Hammam-Lif ainsi que celle de la ville de Tunis.

Caricaturiste à ses heures perdues, il publia dans un journal de la place, sous l'occupation française, une caricature dénonçant avec un humour acerbe le pillage des ressources tunisiennes par le colon, ce qui lui valut une condamnation à six mois d'emprisonnement avec sursis!

Taoufik Boughedir eut l'immense plaisir de fréquenter pendant longtemps les écrivains-bohèmes du fameux groupe « Taht Essour » ("Sous la muraille"), il connut ainsi Ali Douaji (avec lequel il alternait un mois sur deux l'écriture d'une pièce de théâtre sur Radio Tunis) ainsi que Abderrazak Karabaka, Ali Laribi, Bayram Ettounsi. En mélomane averti, il s'est lié d'amitié avec les plus grands noms de la chanson tunisienne dont Saliha, Oulaya. Maurice Meïmoun, Ali Riahi, Raoul Journo.

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…Et le défenseur des femmes

Cependant, Taoufik Boughedir fut surtout un grand nouvelliste, ses nouvelles littéraires furent publiées dans « Al Ousbou » et « Al Thouraya » et recueillirent les critiques enthousiasmées et élogieuses du regretté Férid Ghazi, particulièrement séduit par la finesse et la subtilité de Taoufik Boughedir dans sa façon de décrire la condition de la femme en Tunisie à cette époque-là, thème récurrent dans l'œuvre de Taoufik Boughedir, qui fut l'un des premiers, en compagnie de Tahar Haddad, à militer avec conviction en faveur de la liberté de la femme et de son émancipation, il ne cessa de répéter dans ses conférences que la femme doit jouir des mêmes droits que l'homme, qu'elle est son égale et qu'elle ne doit pas être soumise à des formes de tutelle arriérées et avilissantes.

Ces positions fermes et audacieuses soulevèrent un tollé dans les milieux religieux conservateurs dont les « Zitouniens » et cela lui valut menaces et intimidations dont il n'a jamais eu cure.

Taoufik Boughedir, écrivain et nouvelliste prolifique, n‘interrompit jamais sa production littéraire et, en dépit de son âge avancé, il continua avec la même verve et la même élégance de style à écrire des nouvelles « Sur la Corniche » (2007), « Zohra » (2008) ,« Le nom de famille perdu » (2009).Par ailleurs, il revint à ses premières amours, le théâtre, et écrivit en 2006 la pièce de théâtre « Elle et lui ».

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Homme courtois, modeste, disponible et affectueux, il se fit aimer et respecter par tous ceux et toutes celles qui le côtoyèrent et qui pleurèrent sa disparition, tant le personnage était attachant et humble.

La Tunisie perdit ainsi un monument de sa vie culturelle et artistique dont les traces, nombreuses et variées, demeureront indélébiles. Marié à Safia Ettebib Landoulsi, puis en secondes noces à Saïda Jouini, père tendre et affectueux de cinq enfants : Samira, Férid, Farouk, Nadim et Wassim, Taoufik Boughedir était à juste titre le dernier des titans parmi les pionniers du journalisme et de la culture en Tunisie.

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