Dès qu'une région déshéritée, bannie, exclue, s'enflamme et proteste, on cherche qui manipule qui, qui instrumentalise qui et qui est le cocu dans cette histoire.
Or, chaque mouvement de contestation émane d'une quête légitime, d'une colère diffuse, d'un mal-être puissant.
Qu'un mouvement puisse être récupéré et orienté, c'est de bonne guerre, il ne faut pas être Einstein pour comprendre que les enjeux politiques se greffent sur la colère populaire et canalisent le mouvement.
S'attarder sur l'instrumentalisation suppose que tout va bien madame la marquise, que Kasserine est probablement la Suisse et que ses habitants, à cause du froid ou de l'ennui ont tout simplement cherché à se réchauffer et à se divertir un peu.
Soyons sérieux !!!
Qu’est-ce qui pousse l’individu à contester le système dans lequel on l’a roulé dans la farine savamment ?
On peut constater qu’une grande majorité de gens, outre les très riches de génération en génération qui sont les acteurs-moteur de ce système, planent à fond la forme au dessus des contestataires. Ils les renient, les rejettent violemment…Des fois qu’ils seraient contaminés par des idées saugrenues, les poussant à réévaluer tout ce dont ils ont cru vrai et bon pour leur existence.
Si les écarts se creusent, ce dont profitent les ploutocrates, si tout se dégrade à une vitesse vertigineuse, si le marasme s'incruste et perdure, c'est parce que nous avons laissé, honteusement, en jachère les vrais problèmes et les vrais défis, pour palabrer, luxe que ne se permettent que les riches, sur le sexe des anges, sur la tunisianité des uns et l'islam des autres, sur la modernité surfaite et sur les identités douteuses, ancestrales, équivoques, poussiéreuses...Bref, on ramait à contre-courant, obsédés que nous étions par la vénalité de notre vanité, par nos haines si ridicules provenant d'un idéologisme abscons, mortifère, légué aux oubliettes dans presque tous les pays où pendant des siècles il a gangrené les esprits et plombé la démocratie elle-même.
Quid de la lutte contre les fraudes massives, le détournement des deniers publics, la corruption, le clientélisme, le népotisme, les privilèges, l'économie parallèle, les dysfonctionnements chroniques de l’État et de ses institutions? Quid de la justice transitionnelle seule susceptible de clore et définitivement le dossier de cinquante ans de dictature, de prévarications et d'abus éhontés?
Misère, inégalités sociales, régionales, chômage, déliquescence de l’État, de ses institutions rendue possible par toutes les vermines qui ont rongé et mutilé son corps: corruption, clientélisme, extorsion au profit du clan mafieux et de ses ramifications, concussion, divers délits financiers...outre à la propagation à tous les étages de la société de phénomènes de délinquance et de banditisme directement issus de cette culture mafieuse dont le RCD était le dépositaire et qui s'est substituée à la culture tout court. Qui s'en souvient encore de ce sinistre legs et des ravages qu'il a produit dans la société tunisienne!!!
Où donc étaient les pigeons, les experts, les syndicalistes, les chefs d'entreprise ... et enfin les représentants du populo fourrure et lunettes Gucci, lorsque les gouvernements Ben Ali distribuaient leurs largesses aux copains-coquins et que le bon peuple s'enlisait dans la gadoue d'une misère crasse, endetté sur 5 générations.
Cette désespérance que noient vos égoïsmes!
Immolations, pauvreté diffuse, inégalités sociales et régionales obscènes, violences ordinaires, enfance maltraitée, viols, abus et distorsions, injustices protéiformes...diagnostic alarmant!
Le cri de désespérance, c’est le cri du juste devant l’injuste, qui réclame justesse et justice, nous fait comprendre que ces deux qualités s’éloignent toujours simultanément.
On ne juge pas un cri, on l’entend quand il exprime une indignation profonde.
Au dessus du brouhaha du monde, ce cri peut-il être entendu ? Si oui, il y a de l’espérance dans l’air.