Les ministres de l’éducation nationale qui ont été appelés au chevet de ce grand malade n’ont fait qu’aggraver l’état de délabrement avancé de l’école tunisienne dont les saignées successives dues à des réformes populistes ou à des effets de manche spectaculaires ont accéléré la déchéance d’une école publique de plus en plus inadaptée à son époque, archaïque et incapable de susciter intérêt et engouement auprès des élèves.
La désinvolture avec laquelle les problèmes irrésolus depuis des décennies ont été traités révèle l’insouciance irresponsable d’un ministère dépourvu d’idées, dépourvu de moyens, dépourvu de vision et préférant l’inertie et l’immobilisme à un changement de cap qui soit audacieux et révolutionnaire.
L’impression c’est que l’école publique a été délaissée, abandonnée à son triste sort par ceux-là mêmes qui devaient la sauver d’une agonie dégradante faite de souffrances tues et d’une marginalisation coupable.
Alors que l’école privée destinée essentiellement à une classe sociale nantie bénéfice de l’intérêt accru d’investisseurs voraces attirés davantage par l’appât du gain que par le souci d’améliorer la qualité de l’enseignement, l’école publique, celle des pauvres et des démunis, de plus en plus décriée à cause de l’état piteux de l’infrastructure, de l’encombrement des classes, de la démotivation du corps enseignant (mal rémunéré, mal formé, mal encadré), de l’indiscipline d’élèves de moins en moins concernés par les vertus du savoir et de la connaissance, gagnés par la fainéantise, la frivolité, le mépris de la sacralité de l’école, de plus en plus violents et aigris parce que se sentant exclus et parce que cette école ne reflète plus l’espoir d’ascension sociale d’antan…cette école publique se meurt dans l’indifférence générale…comme si tout le monde avait capitulé, comme si la chronicité de ses nombreuses tares l’avaient rendue insensible à tout effort thérapeutique.
Si l’école privée prospère c’est parce que l’école publique a perdu de son lustre, de sa notoriété, de sa respectabilité et qu’elle est désormais associée à l’échec scolaire, à la gabegie, à la délinquance, à l’indigence tant culturelle qu’intellectuelle, aux locaux insalubres, aux sureffectifs et au caractère obsolète de son offre éducative.
L’éducation dans ce qui était auparavant le sanctuaire de l’épanouissement intellectuel de l’individu, n’est plus ni libératoire ni émancipatrice, elle est devenue castratrice, inhibitrice, pourvoyeuse de frustration car seul le développement améliore le système éducatif, et par développement nous entendons des moyens financiers, des investissements importants et opportuns afin de moderniser l’école, ses méthodes, ses programmes, sa pédagogie et ce pour l’installer dans une dynamique positive qui soit irréductible à la médiocrité, au laisser-aller, à ce contexte chaotique, mortifère, où naissent et meurent rapidement les espoirs d’une génération consciente que l’école publique ne les libère pas mais qu’elle réaffirme leur condition d’exclus.
Notre école opprime et déprime, elle forme les futurs bataillons des chômeurs, des parias, des désespérés, des bannis, elle était sous la dictature une entrave à la capacité critique de l’être humain, à la créativité, à la spontanéité, elle n’encourageait ni le débat, ni la saine dissidence ni la remise en cause de l’ordre établi, elle ne préparait pas des citoyens mais s’inscrivait dans un système de répression, la qualité de l’éducation ne pouvait être ni contestée ni discutée , tout au plus, copiait-on des réformes bancales et largement tributaires des caprices du prince et de ses courtisans, on espérait que la révolution allait changer l’école publique, la rendre moins hideuse, moins morose, plus attrayante, plus intelligente, plus entreprenante, or, nos espoirs furent vite déçus et l’école n’a pas connu « ce printemps » si prometteur qui devait l’extraire de la gadoue de l’insignifiance et de la futilité.
Arrêtons donc cette frénésie démagogique où, il était question, selon les termes d’un ministre exotique, de numériser l’école, de la transformer en gadget électronique et informatique, de faire en sorte qu’elle épouse le progrès technologique alors que l’école publique en Tunisie n’assure pas le minimum faute de moyens tant matériels qu’humains : un socle de connaissance de base permettant de comprendre le monde dans sa complexité, d'en saisir les cadres conceptuels et de s'émerveiller des dissonances.
Vendre des chimères et brasser du vent ne feront qu’accroitre la défiance à l’égard d’une école publique trahie d’abord par les siens et livrée ensuite à des imposteurs déguisés en bons samaritains ! Réhabiliter l’école publique ne nécessite pas uniquement de la bonne volonté, cela nécessite surtout le respect absolu de l’intelligence de ceux qui la fréquentent.