Béji Caïd Essebsi : Maladresse ou frustration ?

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La phrase proférée hier par le Président de la République n’est guère anodine et s’inscrit dans le contexte de la lutte qui l’oppose à Youssef Chahed et à son gouvernement. Inutile de revenir sur la genèse de cet affrontement politique dont l’issue est de plus en plus incertaine, attardons-nous sur la déclaration irresponsable, et c’est un euphémisme, du Président de la République au moment même où un acte terroriste avait frappé le centre névralgique de la capitale et , Dieu merci, sans causer une tragédie aux conséquences gravissimes.

Monsieur le Président au lieu de se congratuler que cet attentat terroriste ait échoué et d’exprimer sa compassion aux personnes blessées, a semblé déçu et presque contrarié, aurait-il souhaité un carnage ? Son souci est-il de « descendre » Chahed en usant de tous les moyens, démocratiques de préférence, et anarchiques si nécessaire ?

Il n’existe pas de cas similaire dans l’histoire politique et il est peu probable qu’un Président en pleine possession de ses facultés mentales puisse avouer publiquement sa crainte de voir l’Etat défait et vaincu par le terrorisme.

Cette déclaration est inquiétante, quelque part étrange et bizarre, car elle intervient à un moment où l’impasse politique entretenue par des factions rivales au sein du parti du Président et par les lobbies mafieux qui les sponsorisent risque de déboucher sur un blocage institutionnel de nature à semer le chaos et la gabegie.

S’évertuer à jeter de l’huile sur le feu et à attiser les haines les plus sordides n’honore ni le Président de la République ni la fonction qui est la sienne, de rassembleur, l’aigreur aidant, il s’est transformé en fomenteur de division et de complots.

Se sentant trahi par un chef du gouvernement qu’il croyait docile, malléable et dissipé, le Président, exaspéré par l’attitude cavalière de Youssef Chahed à son encontre et chauffé à blanc par son entourage familial et ses courtisans, vivant sans doute mal sa mise en quarantaine politique et le fait que son allié d’hier, Ennahdha, l’ait abandonné, au profit de son rival désigné, a décidé d’en découdre avec son ancien protégé au risque de disloquer l’Etat et de discréditer ses institutions.

Essebsi est le produit d’une culture politique qui n’admet ni le partage du pouvoir, ni le respect de la Constitution, ni le respect des institutions. Inadapté à la démocratie et à un système politique qui le met à l’écart des grandes décisions, il pensait que son prétendu charisme et le fait de se proclamer héritier de Bourguiba, allaient lui octroyer une autorité que la Constitution lui refusait.

Formé à l’école des dictateurs, bien qu’il affiche, par opportunisme, des vertus démocratiques très contestables, il s’estime lésé par une Constitution qui lui attribue la portion congrue du pouvoir et qui, par voie de conséquence, amenuise son influence et réduit sa portée. Sa gêne et son embarras ne sont devenus évidents que lorsque Chahed s’est progressivement libéré de son joug et de son emprise et a réalisé qu’il était légitime d’avoir de l’ambition au risque de passer pour un ingrat !

Or, en politique, la reconnaissance est la petite vertu des carriéristes, des médiocres et des veules, elle ne peut pas être l’apanage d’un homme, qui à 43 ans, très avisé et sans doute bien conseillé, entrevoit la possibilité d’une destinée politique qui ne soit pas confinée au rôle peu glorieux d’un comparse, manipulé par un vieux et dont l’avenir est confisqué par les caprices du prince et de sa famille.

Essebsi est certes un habile manœuvrier, il sait tirer profit des conflits politiques en cours et ses menaces à peine voilées à l’égard d’Ennahdha, son appel du pied à la Jabha , le soutien qu’il cherche auprès de l’UGTT découlent d’une seule et unique obsession : abattre à n’importe quel prix Youssef Chahed, mais cette fois-ci, l’opinion publique, qu’il avait réussi à berner en 2014, en se déclarant hostile à tout compromis avec Ennahdha, n’est pas prête à mordre une deuxième fois à l’hameçon quand bien même une partie de cette opinion, conditionnée par sa haine envers les islamistes, serait capable de succomber à l’imposture et à l’illusion.

Pour revenir à sa déclaration, elle semble avoir sonné le glas de sa longue carrière politique et sauf imprévu majeur, elle va l’abréger, ce sont les propos indélicats d’un homme blessé dans son amour-propre, humilié, vexé et qui a compris qu’il quittera la scène par la petite porte. Sa Présidence, il la devait à cette révolution qu’il abhorre, le destin, bien malin, lui a rendu la monnaie de sa pièce…Tout est ingratitude dans cette histoire !

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