Le torchon brûle entre Al Irada et Ennahdha

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Ai-je dit « soupçonna » ?

Quel doux euphémisme !!! En réalité, pour peu que cela soit compris au sens politique du terme, précaution nécessaire quand on est conscient de la prépondérance des susceptibilités chez les uns et les autres, Marzouki, accusa Ghannouchi d’avoir trahi leur alliance et de s’être acoquiné avec le Béji lors de la rencontre de Paris au cours de laquelle les deux « vieux » mirent un bémol à leurs querelles et décidèrent de gouverner ensemble, accusation que confirma récemment l’ancien Président de la République, mais cette fois-ci d’une façon franche et brutale.

Penser que les relations entre Ennahdha et Marzouki ne furent jamais orageuses est un leurre, elles l’étaient dès l’entame du mandat présidentiel de Marzouki dont les positions sur certains dossiers étaient aux antipodes de celles de Monsieur Jebali, le demeurèrent en s’assombrissant de plus en plus (l’affaire Baghdadi allait conduire Marzouki à démissionner, il y renonça in extrémis) et ne se rassérénèrent qu’après le départ de Jebali et son remplacement par Ali Laaridh.

Entre-temps et dans l’intervalle, Monsieur Marzouki opposa un refus catégorique à la nomination de Bhiri à la primature, et ce malgré les nombreuses tentatives de Ghannouchi de lui imposer un monsieur dont il doutait des allégeances et des accointances! Disons que Bhiri ne fut jamais en odeur de sainteté auprès de la Présidence de la République à cause de ses amitiés à tout le moins suspectes et de l’inimitié qu’il nourrissait à l’égard de Marzouki.

Ce refus obstiné et têtu de Marzouki agaça les dirigeants de Ennahdha qui se rendirent compte de l’inflexibilité de leur allié, de son intransigeance, de son manque de « tact » et des difficultés qu’ils auront à composer avec un président si peu « diplomate », si peu « pragmatique » et si peu enclin aux « compromissions ».

Ces dissensions ne firent qu’accroitre les méfiances de part et d’autre si bien que les lézardes et les fissures habilement camouflées jusque-là prirent une résonance particulière quand Ennahdha, forte de sa majorité confortable au sein de l’ANC, commença à négocier une issue à la crise politique majeure que connut le pays après l’assassinat de Brahmi sans consulter ses partenaires politiques et sans impliquer la Présidence de la République dans le processus « transactionnel » qui allait déboucher sur les démissions du gouvernement Laaridh et la formation d’un gouvernement de technocrates.

Cet affront « politique » résultant des arrangements de Paris sentait déjà le soufre en ce sens qu’Ennahdha ne comptait plus renouveler son expérience politique avec Marzouki, jugé fantasque, éruptif, peu malléable…La rupture était de facto consommée, définitivement, mais il fallait taire ce conflit alors que le feu couvait sous la cendre…

Ennahdha avait besoin d’un rival sérieux à opposer à la candidature de Essebsi et ses dirigeants étaient conscients que Marzouki était populaire dans les rangs de ses militants, notamment les plus jeunes d’entre-eux et que ceux-ci, nolens volens, en l’absence d’un candidat nahdhaoui, et indépendamment des consignes de la chefferie, voteront en masse pour le candidat Marzouki.

En quoi consistait l’enjeu ?

Faire en sorte que Essebsi ne gagne pas les élections dès le premier tour, et que sa victoire au second tour ne soit ni triomphale ni assimilée à un plébiscite.

Plus l’écart était mince, plus Ennahdha disposait d’atouts pour mettre la pression sur Essebsi et lui montrer que son sort dépendait de son bon vouloir et des consignes de vote qu’elle pourrait donner à la veille du second tour électif.

Dans la mesure où Essebsi était animé par un seul désir : devenir vaille que vaille Président, sa marge de manœuvre s’amenuisait au regard de son score substantiellement modeste du premier tour alors qu’il se voyait écraser et humilier tous ses concurrents dont notamment Marzouki.

L’avertissement fut compris, si Caïd Essebsi voulait la présidence, il fallait aller la chercher et à Mont Plaisir.

Bref, des renoncements mutuels étaient nécessaires, afin de consolider les accords de « Paris » et de renforcer le « compromis » affaibli par la gauche de Nidaa d’un côté et la « jeunesse » nahdhaouie de l’autre.

J’ai peut-être pris trop de raccourcis, mais obligé d’abréger, j’ai relaté l’histoire dans la perspective qui est la sienne aujourd’hui sans trop m’attarder sur le détail, quand bien même il serait utile de revenir sur cette expérience, sur les causes de son échec et sur les responsabilités des uns et des autres dans l’avortement d’un processus postrévolutionnaire marqué par une instabilité sociale chronique et par des mouvements de contestation virulents et sans doute utilisés à dessein pour abattre la Troïka.

Les polémiques d’aujourd’hui ont été engendrées par cette succession de désaccords, d’incompréhensions entre les dirigeants d’Ennahdha et Moncef Marzouki et par le fait que Marzouki continue à soutenir mordicus que sans le « lâchage » de Ghannouchi, il aurait gagné les élections ou du moins, il aurait eu plus de chances de les gagner.

Ce qui ma foi est insoutenable, grotesque et pathétique, c’est que l’on transfère le conflit sur les réseaux sociaux et que l’on donne du grain à moudre à de jeunes « illuminés » et à quelques hooligans de la « politique » afin qu’ils transforment une rupture dont les prémices étaient visibles, pour tout scrutateur attentif et avisé, en une guerre de tranchées qui ne profitera à personne, hormis ceux qui ont de bons motifs pour que le divorce soit prononcé solennellement, que les divisions ponctuelles et somme toute naturelles en politique (Humeurs, intérêts et opportunités ne convergent pas éternellement)s’enhardissent et deviennent des haines féroces et que le froid, de passager, se mue en brouillard givrant.

Dans les deux camps, les chacals sont plus nombreux que les bons samaritains, ce qui augure de lendemains bien sombres.

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