Réformer l’orthographe française, jugée parmi les plus complexes et les plus compliquées, est un sujet de controverse et de polémique qui a opposé pendant des décennies les tenants de la tradition, offusqués par une telle exigence, et de nombreux grammairiens, linguistes, lexicologues, phonéticiens novateurs, moins conservateurs et ardents défenseurs d’une simplification d’une orthographe qui a hérité des nombreux emprunts de la langue française moderne leur spécificité , une manière de rendre hommage à toutes ces langues qui ont contribué à l’enrichissement de la langue française et à son rayonnement international.
En effet, le legs est tel qu’il a sa sacralité, de la Grèce antique, en passant par le latin, l’arabe, l’espagnol, le portugais et plus récemment l’anglais, la langue française eut le mérite de puiser dans de nombreuses langues afin de se régénérer, de s’ouvrir sur des horizons nouveaux et de s’affranchir de la pauvreté de son lexique en tel ou tel domaine par le moyen assez efficace de l’emprunt volontaire, assurant par la suite, son assimilation ou sa « francisation » , intégration souvent réussie grâce à une phonétique appropriée et adaptée ou à un léger remaniement orthographique à même de donner au terme emprunté une identité française.
Disons à ce propos, que l’immigration massive de vocables étrangers vers le territoire français fut et de loin mieux accueillie que l’immigration humaine, le transfert et l’assimilation répondant à des besoins cruciaux en termes de communication et d’apprentissage en l’absence de mots autochtones désignant tel concept, telle technique ou tel objet.
Comme la nature a horreur du vide et qu’une langue qui ne se renouvelle pas, qui reste figée, dont le lexique assez pauvre est inadapté à l’époque, aux sciences, aux découvertes, à la technologie…finit par mourir ou par être annexée par une langue compatible avec l’air du temps, les Français, pourtant chauvins et imbus de leur culture, ont compris l’irrémédiabilité d’une soumission à des langues étrangères pour combler un déficit qui aurait menacé leur accès à des domaines dont il n’avait pas encore la maitrise, s’ils s’étaient obstinés à sauvegarder ce qu’ils ont hérité des grecs et des romains.
Ce pragmatisme, si nécessaire, a concouru à cette complexification d’une orthographe si redoutablement tributaire d’étymons cocasses, vieux, anoblis par leur histoire millénaire liée à des épopées fantastiques, à des légendes ineffables et à des batailles épiques.
Ces mots sont comme ces naufragés chanceux, ils ont échappé à l’échafaud, à l’autodafé, à la guillotine, aux guerres civiles, aux schismes religieux, aux insurrections, aux révolutions, aux cyclones, aux tempêtes, aux séismes, à la mode, aux humeurs…Ils ont vaillamment survécu aux cabales les plus insolites, aux crises identitaires, à une volonté politique, culturelle ou religieuse de les mettre en quarantaine, de les extraire des dictionnaires, de les mettre au rebut, de neutraliser leur « particularisme » à travers une « francisation forcée » de leur orthographe, dernier et ultime vestige d’une identité que l’emprunteur cherche à étouffer, à éradiquer…Evincer auprès des usagers autochtones cette drôle d’impression que des milliers de mots ne proviennent pas de leurs ancêtres mais de leurs voisins, de leurs anciennes colonies ou d’une quelconque civilisation qui fut à un moment donné hégémonique au point de déteindre sur la langue française, de la phagocyter en quelque sorte !
Les mots, même s’ils conservent une superbe rigidité formelle, évoluent, changent souvent d’acception, sont contaminés par des confères qui les dépouillent de leur sens originel et leur imposent un sens nouveau, propre ou figuré, transcendant ainsi les barrières de l’altérité et intégrant le néologisme ou le sens nouveau dû à d’étranges épousailles à une dynamique de communication nouvelle, à une profession de foi langagière inédite.
Combien de mots que l’on croyait ainsi à l’agonie furent sauvés in extremis d’une déchéance inéluctable par l’ingéniosité d’un écrivain, le génie d’un poète ou l’audace d’un philosophe.
Remis en selle grâce à ce regain d’intérêt inespéré, rabibochés alors qu’ils étaient visiblement usés jusqu’à la trame et esquintés par le temps, ils eurent droit à une seconde jeunesse et réintégrèrent les dictionnaires desquels ils furent chassés mais dépourvus de leurs vieux haillons !
Sans être un gardien du temple orthographique ni un fanatique des insomnies que nous procurèrent des dictées sadiques, œuvre d’un esprit pervers, je vécus avec quelque bonheur ce rude apprentissage, cette difficulté qui vous tient en haleine au moment où vous hésitez entre l’accent circonflexe et l’accent grave…entre la gêne de l’amnésie et le gène de l’idiotie!
J’ai de l’estime pour ces archéologues anonymes, en admiration, quand ils mettent à jour les vestiges d’une civilisation ensablée, ils déterrent ce qu’il y a de plus inaltérable en nous : la mémoire!
Je continuerai donc à pécher par inadvertance et à pêcher dans ma vieille orthographe, parce que les mots ont une histoire...je garderai mes réflexes et mon accent circonflexe... Ce sont mes oignons, enlevez à "ma maîtresse" son adorable "chapeau" et toute mon orthographe sera dépeuplée...