Après son allocution télévisée d’hier soir et bien qu’elle soit truffée d’euphémismes et de sous-entendus, Youssef Chahed, ne semble pas disposé à être sacrifié sur l’autel d’un arrangement entre l’UGTT et Hafedh Caïd Essebsi, arrangement qui a déjà été rejeté par Ennahdha et dont l’objectif principal est de le remplacer par un chef du gouvernement qui soit plus bienveillant à l’égard de la centrale syndicale et moins hostile aux ambitions de Hafedh Caïd Essebsi.
Le discours en soi n’avait rien d’une causerie ramadanesque puisqu’il intervient dans un contexte politique houleux où, fait rarissime et singulier, le parti politique auquel a adhéré Chahed en 2013 exige son départ et les démissions de son gouvernement.
Cependant, après l’échec des négociations de « Carthage 2 » et la suspension desdites négociations, il était prévisible que Chahed sorte de son mutisme et qu’il fasse part de sa décision, la communiquant soit à l’ARP soit à la présidence de la République !
Fort du soutien d’Ennahdha, d’un grand nombre des militants et députés de Nidaa qui ont affiché publiquement leur désaccord avec Hafedh Caïd Essebsi ainsi que de l’appui plus discret de quelques chancelleries étrangères, Chahed a préféré s’adresser à la nation afin de rendre public le conflit qui l’oppose à Hafedh Caïd Essebsi et de stigmatiser le comportement de ce dernier, accusé ouvertement d’être l’instigateur de toutes les cabales qui ont conduit à la dislocation de Nidaa Tounès, à son affaiblissement et à ses déroutes électorales successives.
Le ton était hargneux et l’expression un peu moins réservée que d’habitude, à certains égards indélicate envers le chef exécutif de son parti et fils du Président de la République, mais, ce courroux n’était pas improvisé car il indiquait que Chahed refusait de subir un sort similaire à celui d’Essid et d’être avili par les caprices de Hafedh Caïd Essebsi et les manœuvres en coulisses de ses proches collaborateurs.
Celui que l’on croyait timoré, dissipé, docile, manquant de punch et d’audace, obéissant au doigt et à l’œil à Béji Caïd Essebsi, s’est illustré hier par une diatribe dont les effets politiques risquent d’être dévastateurs.
On n’imagine pas que Hafedh Caïd Essebsi ait reçu cette volée de bois vert avec la sérénité d’un moine bouddhiste et qu’il s’abstienne de réagir avec une virulence proportionnelle au camouflet subi.
On le soupçonne même d’être suffisamment vindicatif et revanchard pour exclure du parti Chahed et exiger le retrait de Nidaa Tounès du gouvernement…à moins que Béji Caïd Essebsi ne désavoue son propre fils et qu’il ne décide de le neutraliser…définitivement, conscient qu’il est, que son « rejeton » est très impopulaire et que son maintien à la tête de Nidaa Tounès présente un risque mortel pour un parti aux abois et en perte de vitesse.
Ce qui est désormais impensable, c’est que Chahed et Hafedh Caïd Essebsi restent dans le même parti car le divorce est irrémédiablement consommé et que Nidaa Tounès, s’il ne succombe pas entre-temps à ce nouveau séisme, devra chercher et trouver un nouveau leader ou disparaitre.
Chahed a sa garde rapprochée, ceux qui n’hésiteront pas à le rejoindre s’il crée son propre parti politique (Dahmani, Bettaïeb, Ben Gharbia, Mouakhar…), mais s’il réussit à convaincre les députés issus des rangs de Nidaa d’isoler Hafedh Caïd Essebsi et d’organiser un congrès électif du parti d’ici le mois de septembre, il pourra conserver son poste et briguer la présidence de Nidaa Tounès, scénario qui nécessitera l’aval du fondateur…