L’homme n’est ni un dévot ni un prêcheur, je ne pense pas que spiritualité et foi soient ses amulettes et qu’il ait un penchant quelconque pour un prosélytisme dont il aime les arcanes, mais qu’il pratique avec quelque mérite en dehors de la sphère religieuse ! Son ésotérisme est aussi troublant que sa personnalité, certes dissipée, introvertie, mais orientée vers la manipulation !
Qui est-il au juste ???Un Richelieu défroqué ? Un Mazarin méconnu à la réputation pourtant sulfureuse et aux amitiés suspectes ?
Inconnu ou presque jusqu’en 1987, cet obscur entrepreneur en bâtiment ne dut sa notoriété qu’à l’ascension au pouvoir de Ben Ali.
Il s’est targué alors d’être à l’origine du putsch de novembre 1987 qui allait renverser le Président Bourguiba, vieillissant et sénile, et propulser à la tête de l’Etat son premier ministre Ben Ali.
Kamel Eltaïef ne s’en cacha pas, bien au contraire, il s’en vanta, il fut parmi les artisans de ce coup d’État, l’une de ses têtes pensantes et celui qui confectionna le Président déchu Ben Ali, celui-ci était son œuvre, sa création, une marionnette docile sur laquelle il prétendait disposer d’une grande influence, un ascendant qui va finir par s’affaiblir quand le dictateur succomba aux charmes de Leïla Trabelsi et que celle-ci, aussi habile et intrigante que Eltaïef, décida d’éloigner ce rival hostile et ambitieux de son pupille et de le compromettre afin que son influence s’amenuisât d’abord et s’estompât enfin !
Lui, l’intrigant ténébreux, mystérieux, discret, avare en apparition publique, peu éloquent, attiré par l’ombre et ce qu’elle autorise comme cabales, connivences secrètes, relations improbables mais utiles pour la constitution d’un vaste réseau parallèle qui contrôle État et administration, police et médias, banques et carrières politiques…un Etat parallèle puissant et opaque, lui, l’homme au sourire embarrassé du jeune puceau timide et emprunté, a été évincé par une femme presque illettrée mais qui, instinctivement, a compris que Eltaïef a des vices analogues aux siens et qu’ils sont tous les deux habités par le même mauvais génie…celui de l’intrigue méchante et malveillante !
Sa disgrâce fut longue et il ne dut sa rédemption qu’à la Révolution qui va lui permettre de se remettre en selle et de renouer avec ses vieilles mauvaises habitudes : manœuvrer en vue de gouverner le pays discrètement et de placer ses hommes aux commandes.
Par sa conduite habile et prudente, il sut apaiser d’une part ses détracteurs, bien qu’extrêmement suspicieux et méfiants à son égard, et réactiver d’autre part « sa machine » afin que celle-ci soit décisive dans les grands choix politiques et économiques du pays.
Ses hommes de confiance sont nombreux autant que ses hommes de paille et ses hommes liges, son talent consiste à savoir les utiliser à bon escient, à exploiter toutes les qualités qu’ils ont et à s’en débarrasser comme de vieux paquets de linge quand ils deviennent encombrants et que le pouvoir les émoustille un peu.
Son système de vassalité fondé sur des allégeances ponctuelles et opportunes ne souffre pas les contradictions idéologiques, son pragmatisme américain lui enseigna que la finalité s’accommode de tous les paradoxes dont il ne faut jamais accentuer ni les traits ni l’impact.
Dans son entourage immédiat, il y a des recrues marxistes, des poulains nationalistes arabes, des journalistes, des cinéastes, des cadres du ministère de l’intérieur, des hommes d’affaire, en somme : de l’instruit, du voyou, du bandit, du vénal, de l’intellectuel, du foin, de l’éteule, de la crotte, de l’étron…,
L’homme a un don extraordinaire : il aime que l’on parle de lui, qu’on l’accuse à tort ou à raison d’être le principal instigateur de toutes les cabales, la cheville ouvrière de tous les complots, l’incarnation de tous les vices…Cela lui procure une vraie jouissance, cela titille sa vanité et excite sa mégalomanie souterraine…parce qu’il a un atout : il sait rester calme, froid et placide, son cynisme est celui d’un roublard refoulé, d’un faux gentil, d’un imperturbable faussement glacial !
S’il a pu rebondir après sa disgrâce et sa longue traversée du désert, c’est parce qu’il a le souci du détail et qu’il ne laisse rien au hasard, sa seule distraction, celle dont il se repentira toute sa vie fut d’avoir sous-estimé Leïla Trabelsi et sa capacité de nuisance, elle fut la seule, sans grande élégance mais avec la même sournoiserie que lui, à lui damer le pion, à vaincre vanité et prétention d’un monsieur si grisé par son éminence qu’il ne vit ni l’esquive ni l’uppercut qui allait le mettre à terre !
Son plus grand ennemi, c’est sa vanité…à laquelle il souscrira toujours, vaille que vaille !