Révolution, changement et masse

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Le mot masse est impressionnant, prodigieux, intense…il dénote un sentiment de puissance implacable, un pouvoir aux proportions incommensurables, susceptible, une fois sorti de son inertie et mis en mouvement, de chambouler l’ordre établi et de terrasser les stéréotypes les mieux ancrés.

La masse est quantité tantôt fluide tantôt informe et brute, caractérisée par l’hétérogénéité de ceux qui la composent, elle ne se déplace pas selon des orientations et intérêts identiques, et quand en son sein, les dissensions et les contrastes sont nombreux, elle s’immobilise, végète et s’enlise dans des contradictions à même de freiner son élan vers le renouveau auquel elle tend.

La masse, n’ayant pas de frontières hermétiques, peut être facilement infiltrée par des courants manipulateurs qui en conditionnent parcours, mode d’agir et de réfléchir et finissent par l’asservir et neutraliser sa volonté de s’extraire de la gadoue socioculturelle !

Une masse docile et passive, encline à négliger ses droits et favorable… à cause de son silence, à tous les abus dont se rendent coupables les ploutocrates, a un pouvoir de résistance si insignifiant qu’elle cautionne et légitime les passe-droits, la corruption, le népotisme, les fraudes, les falsifications, mettant ainsi en péril la pérennité de tout système républicain fondé sur le respect des lois et des règles constitutionnelles.

Permissive et indifférente, elle se désagrège au profit de groupes, sectes, tribus, familles…une infinité de microcosmes englués dans leur diversité économique, régionale, idéologique et totalement irréductibles voire farouchement hostiles au socle unitaire et identitaire, à ce bien commun qu’on appelle Nation ou État-Nation.

Le repli identitaire, l’éveil des localismes et des particularismes sectaires, isolationnistes et fanatisés à l’extrême s’expliquent en partie par cette absence de consensus autour de la notion d’Etat, fragilisé par sa soumission absconse aux impératifs des classes nanties qui se sont emparées de ses rouages et l’ont pratiquement domestiqué au point de vider de sa substance en Tunisie comme ailleurs le terme « démocratie », désormais synonyme de pouvoirs forts, occultes et mafieux, d’allégeance aux lobbies financiers et médiatiques et de mise en scène digne des farces et attrapes !

Dans les dictatures, en l’occurrence sous le régime scélérat de Ben Ali, la masse souvent empêtrée dans les contraintes d’un quotidien morose, pauvre et ignoble, se soucie peu de son devenir incertain et préfère, moyennant débrouillardise, astuces, magouilles et compromissions sociales et morales, s’atteler à l’immédiat, au contingent, à l’épisodique, à cet instantané fantasque… pour faire face aux épreuves féroces d’une survie aux relents déprimants et miséreux !

Inconsciente de son poids et tributaire de la compassion fugitive de ceux qui sont responsables de sa déchéance tant sociale que morale, cette masse abrutie et chloroformée est un non-sens dans la mesure où son existence est réduite à sa capacité de produire, de consommer et d’engendrer de nouveaux démunis, de nouveaux fragments de désespoirs inhibés et rapidement muselés !

Ce que nous constatons aujourd’hui avec quelque amertume c’est le souci constatant, permanent d’une soldatesque médiatique à la solde de lobbies économiques proches de l’ancien régime de reproduire des formes d’asservissement et d’abêtissement intellectuel ayant eu cours sous Ben Ali par le truchement de programmes de divertissement dont la finalité est de renouer avec le kitch, l’insignifiant, le folklorique, le vulgaire, le pervers, le rire gras et imbécile, le divertissement débile, l’abrutissement vil et mesquin, le sous-entendu obscène et malsain…Ceux qui avaient ravagé la culture en Tunisie, qui l’avait réduite à une caricature ignoble et farcesque, continuent leurs sales besognes avec un surcroit de cynisme, de ce cynisme écœurant dont sont capables les médiocres et les larbins !

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