Je tombe sur une interview donnée par Mr. Maher Hanini qui a suscité mon intérêt, et donné un brin d’espoir, dans cette marrée de médiocrité intellectuellement polluante de l’espace public. Je partage en fait certaines de ses réflexions, néanmoins, quelques remarques s’imposent:
1. N’ayant pas eu l’occasion de lire son ouvrage, je ne sais pas si les propos développés dans l’interview en étaient une synthèse, ou simplement des réponses improvisées aux questions posées par le journaliste, qui a manqué de le faire.
2. D’emblée, il dit: “la gauche est en train de s'émanciper des sociétés conservatrices traditionnelles”. Là, je crois que la gauche depuis sa première venue en Tunisie (fin du XIXe) demeure toujours dans cette lignée de militantisme, avec des résultats peu signifiants. Je crois aussi que Maher Hanini a omis deux dimensions à l’évidence fondamentales:
(1) Ce n’est pas parce que la société est conservatrice que la gauche a jusqu’alors raté son devenir en Tunisie, mais parce que le mouvement de gauche n’a pas œuvré pour se constituer un spin-off social, pourtant il était impliqué dans le pouvoir depuis l’indépendance en détenant le plus souvent deux portefeuilles, l’enseignement et la culture.
(2) Des révisions et des actualisations nécessaires dans l’édifice de la pensée marxiste- en général- n’ont point fait objet de priorité. En fait, la lutte idéologique (comme mentionné dans la catégorisation de Ch. Bettelheim) a primé sur les autres champs mouvants d’émancipation, réduisant ainsi la gauche politique à des rôles subsidiaires et plutôt à connotation opportuniste. Là, une erreur fondamentale.
3. Il ajoute: “Il y a une révolution qui arrose la jeunesse goutte à goutte. Il y a une révolution scientifique à l'université, une révolution dans les médias, dans la culture.” Je crois que ceci relève de l’utopisme, et ça rappelle Proudhon, que Marx a dévoilé dans son “Misère de la Philosophie”.
De quelle révolution scientifique parle-t-on ?Pour faire court, les universitaires, ainsi que l’Elite intellectuelle y compris les médias, les artistes, ont été plutôt démissionnaires face à la chose publique quand l’espace des libertés était trop vaste, s’ils (médias et artistes en majorité) n’en constituaient pas un facteur de blocage et de nivellement par le bas. J’aurais souhaité que Maher Hanini aille au bout de ses réflexions, face à un journaliste qui a raté l’occasion d’évoquer la dégradation du capital social due à l’échec notoire du système éducatif et aux bouleversements au fond de la société tunisienne initiés au milieu des années 80’s, ayant instauré une structure sociale dans un perpétuel état d’équilibre précaire.
4. Dans le dernier point, Maher Hanini affirme qu’il était « Optimiste que la révolution existe dans la conscience. Nous n'avons pas besoin de laisser les jeunes émigrer, car il y a des avocats, des ingénieurs,”. Pouvant être pris pour un moraliste, certes; mais il prononce ce conseil - sans source ni destination-, en invoquant superficiellement la dimension institutionnelle, sans mettre en avant “le développement économique”, communément reconnu dans la littérature des transitions comme la pièce mairesse de tout processus de démocratisation, laissant ainsi l’auditeur sur sa faim avec des questions entières toujours en suspens.