Ce qui suit n'est pas une évaluation de la politique monétaire ni celle du mandat de l'actuel gouverneur de la BCT, faute de communication - des années durant - relative à des objectifs quantifiés sur (1) le taux d'inflation, (2) le taux de change, et (3) la stabilisation financière. L’évaluation serait en fait impossible tant que ces objectifs quantifiés n’ont pas été annoncés au début et que les répliques sont toujours conjuguées au conditionnel présent, ‘’Si la BCT n’avait pas fait ceci, la situation aurait été pire’’ !
Je ne sais pas ce que c’est ‘’le pire’’ avec un taux d’inflation atteignant toujours le double de la moyenne mondiale et une fois et demie la moyenne régionale, dans une phase de relâchement des pressions sur les chaines de valeurs et une tendance baissière de l’inflation dans le monde avec une baisse des prix du pétrole et de la matière première et alimentaire. Certes, les effets de retard de la politique restrictive de la Fed et de la BCE en 2022- 2023-H1, hypothéquant la croissance mondiale et rendant plus serrées les conditions de financement, avec des menaces d’insoutenabilité des dettes souveraines, continuent de se sentir dans les économies les plus fragiles dont la Tunisie, mais un discours plus rationnel et plus modeste aurait été mieux. La stabilisation relative du dinar par rapport à l’€ et le $ semble ne pas avoir été pertinente ni pour les investisseurs locaux ni étrangers, ni même pour la stabilisation du stock des réserves extérieurs hors dépôts étrangers, ni pour la stabilisation de l’inflation.
Dans ce contexte, la BCT publie aujourd’hui une circulaire (voir le 1er commentaire ci-dessous) fournissant plutôt des principes de base et des définitions préliminaires sur le comportement des banques commerciales, ou leurs guichetiers, à l'égard de leurs clients. Des définitions remontant en substance au Xe siècle où les banques italiennes, fraichement installées, étaient tenues d'être transparentes et de fournir des informations simplifiées ainsi que des explications sur les produits qu'elles livraient. Ce qui est surprenant, c’est que,
(1) son statut de 2016 (au passage très controversé, puisqu'il lui offre plus d'indépendance et moins de responsabilité/redevabilité que le statut de 2010), lui laisse de larges marges de manœuvre pour intervenir immédiatement contre des comportements simulant l'opportunisme. [En économie, le mot ‘’opportunisme’’ est d'usage, c’est-à-dire : profiter de l’absence de règles, ou du soutien de facteurs hors-marché, pour en tirer profit. Ce profit (marginal) ne s'explique ni par un service à moindre coût, ni par un risque supplémentaire encouru par la banque. Il serait alors justiciable d’imaginer le rôle facilitateur possible de la BCT dans les stratégies de capture de rentes. Au-delà des textes qui régissent son rôle, et au-delà de son rôle de financement de l’économie en dernière instance, la BCT est aussi un organe de ‘’politique industrielle’’, contrôlant ainsi les dépassements et les anomalies, ancrant les attentes et empêchant les gains immérités ; sinon son indépendance perdrait son sens.
(2) Si le discours d'investiture en séance plénière du Parlement était assez plat, mais pris pour une ‘’vulgarisation’’ souhaitée, il manquait clairement un programme spécifique pour le nouveau gouverneur. De fait, le profil de la BCT a continué de s’aligner sur celui de l’équipe précédente, à savoir (i) presque la même équipe dirigeante, (ii) la même pratique peu innovante d’une politique monétaire cristallisée dans le taux d’intérêt et discrétionnaire, alors que la BCT jouit – de jure – d’une indépendance incomparable, (iii) la primauté de l'objectif du taux de change, alors que l’objectif annoncé est toujours l’inflation sans prendre en compte l’impact sur le marché du travail et la persistance du chômage ni sur le marché financier, ce qui alimente le manque de crédibilité et donc d’efficacité [Rogoff, 1985 : pour le Conservatisme; Barro-Gorden, 1983 : pour l’incohérence temporelle de la politique monétaire], (iv) le même type de communication qui est plus défensive et justificative que stabilisatrice des anticipations, et (v) le manque d'institutionnalisation de la coordination avec la politique budgétaire qui – cette dernière – peine à délimiter ses frontières.
Dans ce cas, si aux yeux de la BCT la faute est du côté de la politique budgétaire, une initiative apportant une alternative économique et institutionnelle aurait été logiquement plus que nécessaire. Par ailleurs, aucune mesure exceptionnelle n'a été prise (ou du moins annoncée) face aux dégradations successives de la note souveraine concernant le secteur bancaire et sa vulnérabilité!
(3) Dans un monde en pleine expansion de produits financiers et de technologie de paiement, les règles en vigueur peinent encore à minimiser les couts de transactions que subissent les opérateurs effectifs et potentiels.
Bref, je ne vois pas de pertinence à cette circulaire dont le timing et le contenu passent outre les vrais enjeux actuels d'un secteur bancaire en retard par rapport à des pays comparables et d’une politique monétaire ayant du mal à récupérer ses marges de manœuvres.