J'ai l'impression que l'UGTT a régressé en 3 temps :
1- En 2012, alors que le pays était économiquement très fragile, ainsi qu'institutionnellement, les salaires ont augmenté - sous sa pression - d'environ 6 et 7% dans les secteurs privé et public, respectivement, face à une inflation de 5%; ce qui plus que couvrait les insiders, alors que les outsiders avaient -partiellement- bénéficié d'une augmentation des transferts PNAFN 1 et 2.
Je pensais que l'UGTT faisait valoir ses prétentions au regard de certains repères macro-économiques habituels : alignement des salaires sur le taux d'inflation, etc.
2- Les négociations à partir de 2016 étaient devenues fluides, et les augmentations salariales soumises à entente avec le gouvernement se sont toutes conjuguées au futur et parfois au conditionnel. C'est la "Théorie de la grève de Hicks" mélangée à celle des anticipations, mais avec une forte dose d'asymétrie d'information.
3- Cette fois, les augmentations salariales envisagées sont loin d'être contextualisées théoriquement, ni d'ailleurs socialement, à moins d'une approche institutionnelle -implicite- "tronquée", guidée par les rapports de force entre groupes de pression , sans que le statu quo de la clé de répartition ne soit relevé d'un cran.
Une large littérature sur les ‘’rigidités nominales’’ d'inspiration keynésienne marque un arrêt sur la fixation, pour une durée déterminée, des salaires nominaux lors des contrats. Sous certaines conditions, dont principalement l’absence d’illusion monétaire, cette rigidité nominale a deux principales conséquences :
(1) Les contrats salariaux sont généralement nécessairement tournés vers l'avenir et contiennent essentiellement une prévision de l'indice futur des prix à la consommation (PC). En fait, le salaire nominal est lié à la hausse des PC afin de préserver le salaire réel.
(2) Puisque durant l’accord ou le contrat, aucune modification du salaire nominal n'est prévue, toute variation imprévue des prix à la consommation détermine – de manière non-attendue- un écart entre le salaire réel effectivement reçu par les employés, et le salaire du contrat. De ce fait, une distinction entre l'inflation ‘’future anticipée’’ pour la période du contrat, et l'inflation précédemment anticipée pour la période en cours, est cruciale.
Théoriquement, l'inflation anticipée future n'est pertinente qu'au moment de la renégociation du contrat. Donc, une inflation anticipée future plus élevée se répercutera sur les salaires nominaux et les coûts des entreprises, avec un effet sur l'inflation future plutôt que sur l'actuelle.
Les réponses des travailleurs et des entreprises aux surprises inflationnistes déterminent généralement l'offre et la demande de travail dans le court terme. Cependant, dans notre contexte inflationniste, à mesure que l’offre de travail est inélastique- au vu du chômage structurel élevé, dû essentiellement à une baisse inégalée de la croissance potentielle par rapport à celle effective, quoi que cette dernière soit faible- le pouvoir de négociation du Travail -lors du contrat- s’affaiblit, et le coût supporté par les entreprises se réduit ; ce qui permettrait d’accroitre l'emploi et la production, dépendamment de la capacité d’utilisation de l’emploi (Labor hoarding).
Aussi, théoriquement, cet effet n’est pas sans limite, puisqu’il suffit que chaque travailleur ‘’anticipe une perte de position relative’’ (juste pour citer Keynes) pour qu’une rigidité à la baisse du salaire nominal revienne sur la table de négociation. D’où la non-viabilité de l’actuel arrangement entre l’UGTT et le Gouvernement.
Cependant, ce qui est curieux est que les pressions inflationnistes, courantes et anticipées, sont trop fortes, justement à cause de l'écart négatif croissant (en ampleur) du PIB, rendant la politique monétaire - aussi restrictive soit-elle - en difficulté, et que le récent ‘’contrat’’ UGTT-Gouvernement n’a pas pris en compte les anticipations passées des prix, ni futures.