Je crois que le flux d’économistes ayant quitté l’université durant les années 90’s pour des postes de ministres et de conseillers, et celui des partants à la retraite début des années 2000’s ont laissé un gap énorme rendant ainsi plus difficile la reproduction d’économistes de haut niveau.
Avec tout le respect que je dois aux collègues, la génération juste après n’a pas assumé pour plusieurs raisons notamment celle de l’immiscions musclée de l’administration centrale dans les affaires purement universitaires, ce qui a fait précipiter le départ de plusieurs excellents enseignants, dont je me souviens, vers des universités surtout américaines.
Résultat: la perte était double :
(1) Une contribution médiocre dans l’économie du pays (voir les 8-12è plans de développement économique et social et les résultats catastrophiques du dernier),
(2) Une rupture dans le processus d’accumulation du savoir initié peut-être au début des années 80’s ayant rabaissé le potentiel de l’université et son soft power, conjuguée avec des réformes, pourtant controversées à l’époque et quand-même adoptées, vides de contenu sociétal et vidées de de certains fondamentaux du Savoir, face à un système d’évaluation défaillant.
Je me demande dès lors comment l’apprenant (certains et pas tous) arrive à avoir une note maximale en microéconomie avancée alors qu’il n’a eu aucune occasion de lire les théoriciens pionniers de la valeur et du bien-être, ou en macroéconomie intermédiaire alors qu’il ne s’est jamais confronté aux controverses, voire les suivre jusqu’à présent, entre les Keynésiens et les autres, et comment se fait-il qu’un nombre non-négligeable d’économistes ne se sont point immiscés dans les affaires publiques, pourtant l’espace des libertés était très vaste.
Dans ce contexte, une relation qui n’a cessé de se confirmer à travers les années entre l’apprenant et l’université jusqu’aux plus hauts niveaux des cycles: l’université n’a plus rien à donner autre que dispenser des cours dans les limites de l’état de l’art de la connaissance ambiante. Et l’apprenant ne s’attend plus à donner ni à recevoir de la société estudiantine, si ce n’est d’arracher un diplôme, comme si c’était un contrat dont l’aboutissement était certain, à même d’être monnayé dans la société indépendamment de sa valeur intrinsèque.
Or, retour aux sources grecques oblige, aux yeux du professeur et de la société, l’université est le cadre académique pour qu’une rencontre entre maitre et disciples ait lieu; rencontre personnalisée et exclusive puisque le premier est supposé avoir une pensée que l’étudiant est appelé à connaître d’une part, avec l’exclusion de toute autre tierce partie, y compris le payeur du maître (expression empruntée à Feu Khaled Manoubi). Cette relation devrait d’autre part s’inscrire dans la durée sans qu’un aboutissement soit garanti, puisque ça dépend non seulement de l’étudiant et de son engagement à connaître la pensée du prof, mais aussi du prof, s’il porte en soi un projet de connaissance. Cette connaissance, dite dans le milieu académique “Science” n’est déterminée et validée que dans la société, avec ce qu’elle comporte de non-science, d’idéologie et d’ignorance, mais aussi de gens engagés dans les causes nobles et les défis de la société.
C’est pour cela que faire de la science ne se limite pas à un tableau Excel à remplir ou un modèle à estimer. L’étape finale du processus cognitif est justement sa validation sociale avec ce qu’elle suppose de contraintes idéologiques ou politiques ou toute autres formes d’aliénation sociale qu’il faudrait envelopper, puisque la science procède par enveloppement et non par développement. C’est que le Scientifique est un témoin oculaire de son temps présent et dans le milieu où il vit.
En fait, la science est entière ou pas du tout.