Le prisme et l’horizon/ Considérations sémantiques autour d’un cessez-le-feu

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En cas d’acceptation, ce cessez-le-feu entrerait en vigueur dès le lendemain, samedi 24 février. L’accord précise toutefois que ne sont pas concernés par cet accord les belligérants qui relèvent de la mouvance jihadiste et terroriste. L’Etat islamique, qui mène sa diplomatie à coup d’attentats meurtriers et aveugles, voulait-il répondre à cette nouvelle donne à sa façon ?

Le jour même de l’annonce, il a revendiqué deux opérations qui comptent parmi les plus meurtrières dans l’histoire du conflit syrien : on déplore quelque 180 morts à Homs et à Damas. Mais l’Etat islamique n’est bien sûr pas le seul visé par cette exception au cessez-le-feu : il y a aussi le Front Al-Nosra, branche d’Al Qaïda en Syrie et, ajoute le texte de l’accord, tout autre groupe qui viendrait à être qualifié de terroriste par les Nations unies.

Le flou autour du qualificatif de «terroriste» n’est pas nouveau. Le Moyen-Orient en particulier nous a accoutumés depuis longtemps à une guerre sémantique autour de ce mot et la guerre en Syrie n’en est en quelque sorte qu’une nouvelle édition. Ce qui ressort toutefois, c’est que le conflit syrien a pu jouer un rôle de révélateur.

En effet, face au régime syrien et ses mœurs politiques, on distingue en gros trois types d’opposition : une première opposition qui veut débarrasser la Syrie de la mainmise d’une famille et d’un régime pour la libérer vers sa modernité. Donc vers la libre gestion de sa propre diversité.

Une seconde opposition qui veut remplacer la dictature des Assad par celle de la charia et qui, en accord avec sa logique dictatoriale, ne conçoit pas la possibilité du moindre compromis… Il y a au contraire, en particulier dans le cas de l’Etat islamique, un parti-pris en faveur de la politique de l’extrême, d’une sorte d’anti-realpolitik, qui constitue une forme de démence totalitaire de la gestion dictatoriale de la société. La religion est réquisitionnée dans un projet de surenchère dans la domination du citoyen et l’histoire retiendra sans doute que ce projet antihumaniste sait jouer sur des perversions psychologiques, sur une sorte de propension étrange à l’automutilation morale comme mode d’affirmation de soi chez une jeunesse marginalisée de notre époque…

Et puis, troisième forme d’opposition, il y a celle qui est partagée entre les deux projets, incapable de se résoudre, travaillée de l’intérieur par des tentations qu’elle parvient plus ou moins à mettre en sourdine…

Depuis l’entrée en scène de la Russie et de son aviation, qui a desserré l’étau sur l’armée du régime et lui a redonné un pouvoir d’initiative, cette troisième opposition est mise à rude épreuve, obligée qu’elle est de subir les assauts du feu ennemi et souvent de céder des positions tout en maintenant une ouverture en vue d’une prochaine négociation : véritable grand écart psychologique, sans nul doute. Il est permis de penser que ceux qui sont sortis indemnes de cet exercice ont désormais des reins d’acier pour affronter l’étape des négociations… Et que ceux qui avaient encore des velléités de rejoindre le camp du jihadisme, soit l’ont fait depuis longtemps, soit se sont guéris pour toujours de cette maladie.

Mais cela n’exclut pas complètement que des fragilités demeurent.
On ne peut s’empêcher bien sûr de penser qu’il y a quelque chose de cynique et de terriblement coûteux, humainement, dans ce type de test thérapeutique. Or ce n’est pas fini. Aujourd’hui, les deux protagonistes du conflit ont accepté l’accord de cessez-le-feu. Ce qui, il faut le souligner, est une bonne nouvelle pour toutes les populations civiles assiégées et meurtries par l’état de guerre… Mais des questions se posent déjà sur la manière de faire respecter l’accord et sur les mesures à prendre en cas de manquement de l’une ou l’autre partie à ses engagements. Et il ressort d’ores et déjà des lectures de l’accord que tout groupe dans les rangs de l’opposition qui s’aventurerait à rompre le cessez-le-feu serait considéré comme «terroriste» : c’est sans doute lui qui serait désigné comme tel par les Nations unies…

Il est vrai que l’on peut considérer cette trêve, cette décision de stopper toute agression entre belligérants qui, la veille, se vouaient un combat à mort, comme un ultime test. On peut et on doit même affirmer, d’ailleurs, que le respect de cette trêve est une nécessité de l’heure si l’on veut avancer sérieusement vers une sortie de crise.

Cependant, on peut trouver dans le même temps que l’équation entre rupture de trêve et terrorisme relève du raccourci qui ne sert pas la vérité des choses. Il n’est pas vrai que celui qui a subi les horreurs de la guerre dans sa chair, qui peine à faire taire son besoin de vengeance face à des atrocités vécues, puisse être comparé, sans autre forme de procès, aux tueurs sanguinaires de Daech ou aux combattants fanatisés de Jebhat Al-Nosra. Là, le test perd de sa rigueur…

Là, le test risque de glisser lui-même dans une forme de terrorisme.

L’acceptation de cesser les hostilités ne doit pas être le fait de la peur : peur d’être catalogué comme terroriste et d’en subir les conséquences. Elle doit au contraire émaner d’une audace: celle de dire non à la violence, comme on a su auparavant lui dire oui en assumant toutes les conséquences de ce «oui».
Ces considérations pourraient paraître à certains de vaines subtilités. Il s’agit sans doute de subtilités, mais elles ne sont pas vaines : c’est autour d’elles que se construit le courage de la paix, alors que l’on respire encore la poussière et le sang.

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