Notre Premier ministre a bien raison de vouloir rassembler les partisans d'un bourguibisme positif, qui n'est ni celui des nostalgiques ni celui des aigris. Il sait qu'on aura beau le critiquer sur son bilan, au moment du choix, il faudra bien se déterminer pour un camp qui fait le poids et il sera ce camp. Mais il prend un risque.
Reprendre à son compte cet héritage en voulant faire l'économie d'une critique au sujet de ce qu'il a produit comme exclusions au sein de la société, au sujet des restrictions des libertés auxquelles il a abouti en voulant forcer les hommes vers la modernité au lieu de les y conduire, au sujet de toute cette culture du mépris de soi qu'il a générée et qui est devenue une plaie dont on découvre chaque jour la purulence, c'est prêter le flanc à la sagacité d'un bel opportunisme citoyen, qui saura donner un sens plus véridique au rêve d'une société plus réconciliée avec son passé et plus unie pour affronter son avenir avec l'appétit des conquérants...
Personne n'est dupe : comment l'être quand on voit l'étendue de la crise ? Qui en est responsable si le gouvernement ne l'est pas ?
Le problème est que le Tunisien a quand même besoin de donner un sens à son vote, et que s'il ne trouve rien de sérieux et de crédible en scrutant l'horizon, il finira par se faire une raison et par trouver que, tout compte fait, ce qui a été réalisé n'est pas si mal et que ça pourrait être mieux demain, avec la même équipe et le même tandem.
Ce que je dis, c'est que l'intéressé peut tabler sur ce type d'attitude de la part du Tunisien, mais qu'en faisant ce calcul il se met à la merci d'un camp qui se donnerait un vrai projet politique moderniste, ancré dans le passé sans être empêtré ni dans l'immobilisme réactionnaire de l'islamisme ni dans le bourguibisme et ses dérives...
Pour l'instant cette "menace" n'est pas visible. Depuis la révolution, ceux qui ont tenté cette troisième voie ont échoué. Mais les choses peuvent changer. Et si cette menace devait se préciser, parce qu'un camp nouveau se serait formé, parce qu'il y aurait une nouvelle alchimie - comme un air nouveau qui s'impose tout d'un coup dans l'âme - alors le projet du Chef du gouvernement cesserait d'exercer son pouvoir d'attraction et son bilan deviendrait quelque chose que le Tunisien pourrait à nouveau diriger contre lui. Parce qu'il aurait une alternative sur quoi s'adosser.
Si cette jeune armée, encore éparse, parvenait à se former, elle capterait pour elle tout l'éclat qu'un projet politique se donne par son audace, et la rhétorique bourguibienne du Premier ministre en recevrait ipso facto un méchant coup de vieux.
En cette matière comme en d'autres, prions et scrutons les étoiles, selon une ancienne sagesse qui n'a rien à voir avec les superstitions post-modernes.