Unesco - Election /// Enjeux politiques autour de la nouvelle direction

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La montée fulgurante de la candidate française, Audrey Azoulay, a pris de court les pronostics. Mais son profil culturel, dans tous les sens du terme, explique peut-être pourquoi tant de soutiens sont allés en sa faveur…

Depuis vendredi dernier, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) a une nouvelle directrice en la personne de la française Audrey Azoulay, qui avait été brièvement ministre de la Culture à la fin du mandat de l'ex-président François Hollande. Le choix doit certes être validé le 10 novembre prochain lors de la conférence générale des Etats membres, mais il s'agit pour ainsi dire d'une pure formalité administrative.

La candidature d'Audrey Azoulay a été portée à bout de bras par l'actuel président français, Emmanuel Macron, qui l'a défendue au gré de ses déplacements à l'étranger. En mai dernier, la candidate était du voyage avec lui au sommet du G7 qui s'est tenu en Sicile, à Taormine, et auquel a assisté Donald Trump juste après le voyage qu'il avait effectué à Ryad et au Proche-Orient.

Son ascension, presque aussi fulgurante que celle du président français, est venue contrarier doublement un accord tacite qui prévaut en matière d'élection du directeur général. En vertu de cet accord, la France, qui abrite le siège de l'Unesco, doit normalement s'abstenir de présenter un candidat.

D'autre part, la règle de l'alternance voudrait que, d'un mandat à un autre, une région du monde différente soit chaque fois représentée. En l'occurrence, les pays arabes considéraient que leur tour était venu. Deux candidats arabes étaient en lice et ont été à la lutte presque jusqu'au bout pour décrocher le poste. Il s'agit de l'Egyptienne Moushira Khattab et du Qatari Hamad Al-Kawari.

La rivalité des deux pays, toutefois, n'a pas joué en leur faveur, puisque l'Egypte aurait préféré finalement renoncer à sa propre candidate en misant sur la Française plutôt que de voir le Qatari remporter la mise. La crise du Golfe est passée par là !

Mais, à côté du soutien actif de la France à sa candidate et des rivalités intempestives du camp arabe, autre chose encore a poussé la française à la victoire. C'est l'annonce par les Etats-Unis, la veille du scrutin, de leur retrait de l'organisation onusienne.

Ce n'est certes pas la première fois que cela arrive dans l'histoire de l'Unesco et, comme cela a été souligné ici ou là, la politique du retrait semble être une constante du président Trump : retrait de l'accord de Paris sur le climat, retrait de l'accord nucléaire avec l'Iran, retrait de l'accord de libre-échange nord-américain (Nafta), etc. Mais, cette fois, la décision américaine est liée à une prise de position politique particulière : l'Unesco serait "anti-israélienne" !

D'ailleurs, la décision américaine de se retirer a été immédiatement saluée par le gouvernement israélien, qui a emboîté le pas aux Etats-Unis en annonçant le retrait d'Israël.

La position américaine avait déjà été annoncée au début du mois de juillet dernier suite à une résolution de l'Unesco déclarant la vieille ville de Hébron (Al Khalil) "zone protégée du patrimoine mondial". Ce qui était pour l'organisation onusienne une manière implicite de pointer du doigt la politique israélienne de gestion des vestiges qui tentait de "judéïser" le passé de la ville au détriment de son histoire arabe et musulmane.

Des agissements similaires, dans d'autres zones des territoires occupés, étaient également épinglés, d'ailleurs, notamment dans la partie est de Jérusalem (Al Qods). La réaction israélienne, largement relayée par les médias, avait été d'accuser l'Unesco de vouloir nier le passé juif de la ville. Et c'est alors que les Etats-Unis se sont rangés derrière cette position en parlant de "politique anti-israélienne" et, selon les termes de Nikki Haley, ambassadrice US à l'ONU, "d'affront à l'histoire".

Quel rapport entre le retrait critique des Etats-Unis de l'Unesco - qui ne sera toutefois effectif qu'à la fin de l'année 2018 - et l'élection de la française Audrey Azoulay ?

Le rapport, c'est que l'intéressée est juive : la première personne juive à diriger l'Unesco, du reste. Et que, à l'inverse, l'élection d'une personnalité arabe de confession musulmane aurait accentué les soupçons de "politique anti-israélienne" que les Etats-Unis faisaient peser sur l'organisation à grands renforts de tapage médiatique. Avec pour conséquence l'aggravation d'une situation financière pour l'Unesco qui souffre déjà d'arriérés de paiement estimés à près de 600 millions de dollars…

Cette situation financière, en réalité, reflète un problème de gestion dénoncé, lui aussi, par les Etats-Unis, mais le fait que ce pays ait suspendu ses contributions depuis 2011 - date de la reconnaissance de la Palestine comme pays membre - n'arrange rien. Pas davantage sa décision de claquer la porte, dont l'effet est de rendre définitive la mesure de non paiement des contributions.

Mais alors, serions-nous en présence d'une politique de judéisation de l'Unesco comme il y a eu une politique de judéisation du passé de la ville de Hébron, et cela sous l'épée de Damoclès de la puissance financière et médiatique des Etats-Unis, "meilleur allié d'Israël" ?

On peut le supposer, bien sûr. Tout dépendra de la façon dont cette organisation va gérer ses dossiers dans les mois et les années qui viennent, en particulier dans la zone du Proche-Orient, où les traditions monothéistes se mêlent et s'imbriquent en un seul et même espace.

Audray Azoulay, en qualité de directrice générale, jouira d'un pouvoir incontestable pour faire pencher la balance dans un sens ou dans un autre. Ses origines juives, toutefois, ne doivent pas nous faire oublier qu'elle a aussi des origines marocaines. Ni le fait qu'elle est issue d'une famille qui, au Maroc, a été mêlée de très près au pouvoir ni sa double culture est une arme. Nous verrons de quelle façon elle saura en faire bon usage.

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