A mi-chemin entre une activité de santé et une activité de tourisme, les cliniques privées en perdent parfois le latin de leur déontologie…
Les cliniques privées sont des établissements de santé qui obéissent à un cahier des charges. Ce texte fixe les normes en matière de vente des médicaments, de tarification des actes médicaux et de publicité en matière de prix relatifs à la nourriture et à l’hébergement... Les bases en vue d’un respect du contrat de confiance existent donc entre le patient-client et l’établissement. Or, la réalité n’est pas exactement celle-là. On peut distinguer trois cas de figure :
1- Le patient vient de l’étranger, pays voisin ou européen. Il correspond à une catégorie économique relativement aisée. Autrement dit, quand il s’agit de questions de santé, il est capable de ne pas regarder à la dépense... Son calcul, en fait, prend essentiellement en compte des données propres à son pays : absence de soins équivalents ou présence de ces soins mais niveau de prix nettement plus élevé en considérant le «facteur change».
2 - Le patient est Tunisien mais, lui aussi, se situe plus ou moins en haut de l’échelle sociale. Si tout se passe bien pour lui, si son séjour est soldé par une guérison, alors il remerciera Dieu (ou la providence) de cette issue et trouvera mesquin de chicaner sur le contenu de la facture... Même si, en temps normal, il trouverait amplement matière à le faire... Mais si, en revanche, il y a des complications pour sa santé, alors tout prendra pour lui une coloration différente. Et la même facture, presqu’à chacune de ses lignes, de se transformer en une preuve éclatante des dérives de la médecine-business…
3 - Le patient est Tunisien mais ses moyens sont ceux d’un citoyen modeste ou d’un niveau de revenus intermédiaire. Et là, il a beau savoir qu’on ne s’aventure pas impunément dans la médecine des cliniques privées, il ne peut s’empêcher de grimacer au moment de passer à la caisse et d’éprouver le sentiment qu’il s’est fait rouler, qu’on a profité outrageusement de lui. Bien sûr si, en plus de cela, la guérison n’est pas au rendez-vous, la déception peut se changer en animosité, voire en guerre déclarée.
Ce qui ressort de cette triple distinction, c’est que, à aucun moment les dispositions du contrat, c’est-à-dire du cahier des charges, ne sont réellement mises en avant pour réguler la relation entre l’établissement et le patient. Ces dispositions n’apparaissent que plus tard, s’il y a conflit. Comme si la politique commerciale voulait absolument que les termes du contrat soient hors de la vue du client. L’affichage des prix relatifs à la nourriture et à l’hébergement est discret... Sur les sites Internet, même topo. Une clinique réputée de la place consacre trois lignes au thème des «Frais des examens médicaux», des «Honoraires des médecins» et de la «Pharmacie»: à peu près une ligne pour chaque rubrique, sur un contenu global qui compte 16 pages et dont l’essentiel vise à susciter des dispositions favorables de la part du patient potentiel et de sa famille.
Il y a à cette pudeur mal placée, si l’on ose dire, plusieurs raisons, dont certaines relèvent tout simplement de nos coutumes commerciales. Mais une raison en particulier mérite d’être signalée : les cliniques privées sont à mi-chemin entre l’activité sanitaire et l’activité touristique, au sens où l’on parle de tourisme de santé. Or, cette activité tournée vers le client étranger génère une conduite commerciale qui est à la fois plus lucrative et plus opportuniste. Les professionnels les plus intelligents sont sans doute ceux qui parviennent à faire la part des choses. Les autres sont tentés de soumettre les patients locaux à la même politique commerciale et tombent presque fatalement dans des abus, parfois criants…
Cette situation, les professionnels du métier ne l’ont pas choisie: elle s’est imposée à eux au nom des choix de développement du pays et du besoin en devises de notre économie. Il appartient à la fois aux structures de contrôle, celles du ministère comme celles de la profession — Ordre des médecins et Chambre syndicale des cliniques privées — de mener un travail de contrôle préventif à même de rétablir le climat de confiance à travers une défense plus franche de la déontologie et des bonnes pratiques : cette responsabilité leur incombe…
De source officieuse, mais bien informée, on apprend que le ministère, au jour d’aujourd’hui, n’exerce quasiment pas de contrôle sur le secteur des cliniques privées. Les choses doivent se mettre en place, en accord avec le changement de l’intitulé même du ministère - de la «Santé» (en général) et non plus de la «Santé publique» - mais cela prend du temps, nous dit-on.