Philosophie et psychanalyse /// Un versant aventureux et subversif

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Les crises et les blessures vécues dans l’enfance ont le pouvoir de migrer dans l’espace et dans le temps. Et c’est parce que ce phénomène existe et qu’il est déterminant dans le comportement de beaucoup d’entre nous, pour ne pas dire de nous tous, que tant de conflits surviennent dans nos vies auxquels nous ne parvenons pas à trouver d’explication rationnelle.

Car chaque acteur que nous sommes arrive sur la scène de la société humaine chargé d’un récit invisible, avec le spectre de ses personnages et de ses drames, et c’est seulement à la lumière de ces récits de nos passés respectifs que s’éclaire tout à coup le sens de tant de complications relationnelles et affectives qui émaillent le quotidien de nos échanges avec autrui.

Cela veut bien dire que ce que les psychanalystes appellent «transfert» est quelque chose de courant. L’homme le plus alerte, le plus soucieux de n’accorder aux diverses situations de sa vie sociale que la signification de ce qu’elles sont dans le présent, ne peut jamais s’assurer que le passé de son existence ne s’est pas insinué, de façon clandestine, dans ce qu’il croit être le «présent» de la situation présente. Et, par conséquent, qu’il n’a pas attribué à tel ou tel de ses interlocuteurs, à son propre insu, le rôle qui fut celui de son père ou de sa mère dans le contexte de son enfance…

C’est du moins ce que nous enseigne la théorie psychanalytique et nous la suivons dans ses hypothèses sans discuter pour l’instant. Mais qu’est-ce qui distingue alors le transfert ordinaire que nous commettons au gré de nos rencontres du transfert qui s’installe dans la relation entre le psychanalyste et son patient et dont Freud nous dit qu’il va constituer un «pilier» de la cure ? Il faut se souvenir ici que notre médecin viennois n’est pas venu à la psychanalyse de façon immédiate.

Il y a eu des étapes, et en particulier l’étape parisienne au cours de laquelle il a fait connaissance avec une méthode thérapeutique relativement originale : l’hypnose. Un certain Charcot, neurologue, attirait l’attention avec son utilisation de cette technique sur des malades atteints d’hystérie. Or qu’est-ce qui caractérise la relation du patient au médecin dans le cas du traitement par l’hypnose ? Un abandon total.

L’acceptation que la personne du médecin soit le centre du monde. En d’autres termes, c’est précisément cette même relation qui existe entre le jeune enfant et ses parents, qui sont pour lui le centre du monde. La réduction de l’horizon humain à la personne du magnétiseur revient en réalité à une «régression» dans une situation relationnelle qui est celle de l’enfance : voilà ce qu’observe le jeune étudiant qu’est encore Sigmund Freud quand il est à Paris. Il y a un reflux massif du passé qui devient l’essentiel de la relation, et non plus un résidu, une survivance plus ou moins maigre qui se fraie subrepticement sa voie vers le présent. Et ce même phénomène de reflux va se retrouver dans la relation entre le psychanalyste et son patient...

Voilà donc à quoi le médecin a affaire et à quoi, comme nous l’avons dit précédemment, il doit répondre, en prêtant sa personne au jeu d’une situation ancienne soudain ressuscitée, dans sa dimension désormais hégémonique. Ce faisant, il se démarque du rôle du médecin traditionnel, enfermé dans la position du scientifique qui dissèque froidement le réel... Ou du moins donne-t-il l’air de s’en démarquer.

En tout cas, le «contrat» thérapeutique exige de lui ici qu’il «flirte» avec le délire de son malade : qu’il y fasse une incursion, contrôlée certes, mais qui n’est pas sans péril. A cette posture particulière s’ajoute autre chose qui pourrait achever de nous persuader que la psychanalyse est tout sauf une fabrique de normalité sociale au service d’une civilisation rationaliste : civilisation dont le projet est de dominer, non seulement la matière, mais aussi les esprits... Ce dont nous l’avons soupçonnée ! Car la théorie psychanalytique va rapidement se faire connaître comme une pensée assez subversive.

D’abord parce qu’elle prétend que l’homme est gouverné par des pulsions de nature sexuelle plus ou moins apprivoisées et, ensuite, parce qu’elle accuse nos sociétés modernes de pratiquer l’hypocrisie et le mensonge à propos de cette réalité de nos existences...

D’ailleurs, dans le prolongement de ce procès en mensonge et dissimulation, il y a aussi un procès à instruire en production de maladies mentales par culpabilisation et refoulement des désirs... En faut-il davantage à la psychanalyse pour mériter le titre de dangereux séditieux au regard d’une société jalouse de son système de valeurs ?

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