Si la révolution de 2010-2011 n'avait pas accouché de cet avorton qui fait que la prospérité continue de s'étaler de façon insolente dans les régions où elle existait déjà tandis que l'intérieur du pays demeure largement en proie à la misère et à l'oubli, nous n'aurions pas eu ces résultats qui laissent beaucoup d'entre nous dans un état de stupeur et d'inquiétude.
Les politiques engagées depuis toutes ces années pour changer l'ordre des choses ont toutes échoué. Elles se sont enlisées dans des conflits internes, sans doute parce qu'elles reposent sur des recettes faussement appropriées, trop théoriques et importées d'ailleurs…
La propagande qui croyait pouvoir convaincre les gens que les lendemains qui chantent sont enfin là n'ont pas convaincu, et donc pas permis de briser les pronostics des sondeurs.
A vrai dire, il y a une fracture entre deux Tunisie qui n'est pas qu'économique, et pas que politique non plus : elle est linguistique. On a beau parler arabe de part et d'autre, on ne parle plus la même langue. Et il ne suffit pas d'enduire son langage d'un vernis populaire pour y changer quoi que ce soit.
S'il y a une réconciliation à envisager dans ce pays, elle est peut-être linguistique avant toutes choses. Mais pour ça, les recettes venues d'ailleurs ne nous disent pas comment faire…
Le projet de refonte de l'Etat
Le projet de refonte de l'Etat proposé par le candidat arrivé en tête du premier tour - et qui présente les plus grandes chances de l'emporter au second - est un projet qui se prête à la critique et qui, dans un régime démocratique comme le nôtre, ne peut tout simplement pas échapper à la critique…
Mais qu'on se le dise : ce projet n'est pas la lubie d'un personnage fantasque. Il porte en lui une révolte et des espérances que des mois et des mois de rencontres et de débats avec des jeunes et des moins jeunes ont cristallisés.
La première condition d'une critique est de se donner la peine de prendre acte de cela et de ne pas céder à la tentation du dédain et du mépris... Kaïs Saied - et c'est sa force - s'est fait le porte-voix de toute une partie de nos concitoyens qui considère que la configuration actuelle de l'Etat ne répond pas aux aspirations du peuple telles qu'elles se sont exprimées il y a plus de 8 ans et telles qu'elles persistent dans leur expression aujourd'hui encore.
Ne croyons pas que nous pouvons faire taire les voix, quelles qu'elles soient : cette époque est révolue !
C'est donc dans une écoute attentive de ce que dit le projet de refonte - par-delà le détail de son contenu - qu'une critique est non seulement possible mais nécessaire.