La ville de Jérusalem, la ville d’Al-Qods, comme il est coutume de préciser pour faire droit à la charge de sens que contient le nom en langue arabe, la ville sainte, donc, est depuis de nombreux mois maintenant au centre de la diplomatie mondiale… Bien avant que le président américain ait annoncé qu’il y transférerait son ambassade. Et que les Palestiniens aient répondu à cette initiative d’une double manière : en rompant les liens avec les Etats-Unis en tant que parrain d’un processus de paix réel ou possible, d’une part, et, d’autre part, en proclamant de leur côté qu’Al-Qods est la capitale du futur Etat palestinien : ce pour quoi ils ont bénéficié d’un soutien massif et sans ambiguïté de la part de la communauté des pays arabes et musulmans…
Et quelque chose nous dit même que, contrairement à l’approche ancienne, il existe aujourd’hui une volonté de relancer le processus de paix en faisant du statut de Jérusalem, non le point d’arrivée, mais le point de départ.
C’est pourquoi tout ce qui se passe dans cette ville revêt une importance toute particulière et devrait attirer notre attention. Même si cela ne concerne les intérêts palestiniens que de façon indirecte ou latérale.
Ce qui s’est passé ces derniers jours à Jérusalem pourrait en effet être considéré de notre point de vue comme un événement mineur. Nous voulons parler de la fermeture de l’Eglise du Saint-Sépulcre — rouverte entre-temps, il est vrai, mais au terme d’un bras de fer entre la communauté chrétienne de la ville et le gouvernement israélien.
Pourquoi cet événement n’est pas si mineur que cela ? D’abord parce qu’il existe des Palestiniens de confession chrétienne et que la fermeture d’un lieu comme l’Eglise du Saint-Sépulcre représente pour eux une atteinte à l’intégrité de leur vie religieuse. Si aujourd’hui cette église est rouverte, les raisons profondes qui ont provoqué sa fermeture n’ont, elles, pas disparu.
Ensuite, parce que l’autorité palestinienne, dont la volonté déclarée est d’affirmer un jour prochain son autorité pleine sur la partie orientale de la ville, où se trouve précisément l’église en question, ne peut pas se désintéresser aujourd’hui d’un problème au motif qu’il ne concerne pas la majorité musulmane.
Les Palestiniens n’ont cessé d’essayer, dans leurs déclarations publiques, de rassurer sur la conscience aiguë qu’ils ont de la responsabilité multiculturelle ou multi-religieuse qu’engage la gestion de la ville… Il est évident que le retour aux pratiques qui ont prévalu du temps où ces lieux saints étaient administrés par des entités politiques musulmanes, jusqu’à l’empire ottoman au début du siècle dernier, ne sauraient servir encore de référence aujourd’hui. Même si tout n’est pas forcément à rejeter dans ces pratiques.
Le cas de l’Eglise du Saint-Sépulcre souligne d’ailleurs à quel point la gestion multiculturelle peut être un exercice périlleux auquel il convient d’apporter des réponses aussi judicieuses que souples.
Autour de ce site, un des très rares sur terre, coexistent, visitent et prient ensemble des chrétiens de rites différents, qu’ils soient catholiques, orthodoxes ou autres… Il y a là un équilibre fragile, en ce lieu censé abriter le tombeau de Jésus-Christ, où les familles du christianisme font l’épreuve de leurs différences dans la revendication commune de quelque chose qui les réunit…
En même temps, ce lieu ne peut pas prétendre se donner ses propres lois indépendamment de toute référence à l’autorité territoriale dont il relève. Il faut donc admettre comme un fait acquis que l’application de la loi ne saurait se départir ici d’un sens affirmé, non seulement du compromis, mais aussi de l’intelligence des affaires internes et des préoccupations de chaque communauté.
Le conflit qui a été à l’origine de la fermeture de l’église illustre ce que ne doit pas être une administration de ces lieux. Pour beaucoup de chrétiens palestiniens de Jérusalem, les mesures fiscales décidées par la mairie — israélienne — de Jérusalem, qui gère cette partie occupée de la ville, n’ont pas d’autre but que de faire fuir la population de confession chrétienne.
On se souvient peut-être que le même genre d’accusations avait été exprimé par l’autorité palestinienne et transmise à l’Unesco au sujet de ce qui a été qualifié de judaïsation du patrimoine musulman dans la vieille ville, ainsi d’ailleurs que dans certaines zones occupées de Cisjordanie.
La loi est mise au service d’une politique qui n’est pas de coexistence des communautés, mais d’hégémonie de l’une d’entre elles. Or le grand défi palestinien est d’apporter au monde la démonstration qu’un Etat palestinien saura demain déjouer le piège d’une administration tombant dans le jeu d’une communauté particulière et se mettant au service de ses intérêts plus ou moins exclusifs.
Ce pari, nous peuples de culture arabo-musulmane, il est d’une grande importance que nous puissions le partager avec les Palestiniens. Il y a là un enjeu de civilisation assez évident.
Enfin, il est intéressant de voir comment, à partir d’un litige local dans les murs de la ville sainte, les réponses à y apporter peuvent recevoir des prolongements en termes de coexistence à plus large échelle.
Si la ville de Jérusalem, la ville d’Al-Qods, est une ville sainte, cela pourrait bien être en raison, non seulement de son passé, mais aussi de son avenir : en tant que lieu d’où partira un jour l’essai d’une diversité culturelle réconciliée, et d’une réconciliation inspirée, que les peuples auront à valider chacun en ce qui le concerne, sur son propre territoire.