Imbroglio politique autour d’une figure mondiale de la gauche

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Un juge fédéral a émis jeudi dernier un mandat de dépôt enjoignant à Lula de se présenter de lui-même à la police dans un délai de vingt-quatre heures... Cette décision de justice comporte des enjeux politiques dont on mesure mal l’importance et l’étendue.

L’ancien président brésilien Luiz Ignacio Lula da Silva était attendu vendredi dernier au siège de la police fédérale de Curitiba, dans le sud du pays, afin d’être emmené de là en prison où il doit passer, conformément à sa condamnation, 12 années de prison... Il ne s’y est pas rendu. Aux dernières nouvelles, des discussions se sont engagées entre les avocats de l’intéressé et la police.

Après quoi, il a finalement fait la déclaration suivante : «Je vais me conformer au mandat de dépôt. Mais je suis un citoyen outré parce que je ne pardonne pas que l’idée ait été donnée à la société que je suis un voleur». En d’autres termes, il accepte de se livrer aux autorités, tout en nourrissant l’espoir de continuer son combat judiciaire. En l’état actuel des choses, donc, son statut est désormais celui d’un détenu.

12 années, c’est la moitié des 24 ans dont vient d’écoper de son côté l’ancienne présidente de Corée du Sud, Park Geun-hye, qui se trouve quant à elle déjà en prison. Le monde a décidément changé depuis le temps où le métier de président équivalait à une sorte d’immunité à vie.

Et ça ne rigole pas !

12 années, pour un homme qui en compte déjà 72, c’est quasiment une condamnation à mort : on l’aura enterré vivant avant de l’enterrer mort. On ne connaît pas le futur, ni le nombre d’années qui lui sont imparties par la destinée, mais pour le commun de ses concitoyens, c’est à peu près le scénario qui se présente : une inhumation avant l’heure.

La grande différence entre Lula et Park Geun-hye, c’est que l’ancien président brésilien est une grande figure d’une certaine gauche, non seulement dans son pays mais dans toute l’Amérique latine et même au-delà. Les fautes qui lui sont reprochées par la justice brésilienne n’effacent pas de la mémoire de beaucoup le fait qu’il fut un formidable espoir pour tout ce bas peuple, dont il est lui-même issu.

Durant son mandat, de 2003 à 2011, les pauvres ont goûté une amélioration formidable de leurs conditions d’existence : davantage de travail, de meilleurs salaires, des mesures sociales et éducatives... Bref, plus de dignité ! Tant et si bien que, malgré les «affaires», sa popularité demeure tellement grande qu’il est le favori des sondages pour la prochaine présidentielle, prévue en octobre prochain.

D’ailleurs, dans son camp, l’idée qui prévaut au sujet de la dernière décision de justice - refus de son maintien en liberté -, c’est qu’il existe une collusion avec certaines parties politiques afin de l’écarter de la course. Et même si on est un farouche partisan de la tolérance zéro à l’égard des affaires de corruption, et qu’on considère - à juste titre - que les plus hautes fonctions de l’Etat ne doivent pas échapper à la rigueur de la loi, on ne peut s’empêcher d’accorder un certain crédit à ce soupçon.

Il ne fait aucun doute qu’aussi bien sa condamnation que la réponse négative opposée à sa demande de jouir de sa liberté jusqu’à épuisement total des recours, cela est à l’avantage de ses adversaires politiques. Et le souci qu’on peut se faire pour le Brésil, au-delà de ce qui arrive à l’une de ses grandes figures, c’est que, demain, le gagnant de la prochaine élection se présente le jour de son investiture avec le visage presque honteux de celui qui est là parce que Lula est en prison.

Ou, diront les plus téméraires, parce qu’il aura su jouer de la justice pour assassiner - politiquement, mais traîtreusement - un adversaire plus fort que lui !
La lutte contre la corruption n’en sortira pas grandie non plus : on dira d’elle que derrière ses prouesses, l’exemplarité théâtralisée à souhait de son intransigeance, elle est malgré tout l’instrument de puissances qui continuent de faire et de défaire à leur guise les gouvernants d’aujourd’hui.

La justice est manipulée, le jeu démocratique faussé, la voix du peuple confisquée… Voilà ce qui n’est peut-être pas vrai dans l’absolu, mais qu’on va répéter à l’envi dans les favelas comme dans les villages et les campagnes du Brésil…

La guerre contre la corruption est une guerre mondiale et il est important qu’elle bénéficie d’un large soutien populaire sur tous les fronts où elle est menée. Si les pauvres du Brésil et d’ailleurs en viennent à penser qu’elle sert finalement à mettre derrière les barreaux ceux qui les défendent contre la misère et ceux qui les délivrent de leur sort, on n’aura pas agi en sa faveur.

Bien sûr, il ne s’agit pas non plus d’utiliser cet argument pour minimiser les fautes dont il s’est rendu coupable, aux yeux en tout cas de la justice brésilienne… Briguer un second mandat présidentiel en traînant derrière lui des condamnations pour corruption ressemble fort, de sa part, à une fuite en avant.

Voire à une volonté d’échapper à la justice : maigre programme pour un mandat présidentiel. Et les mérites politiques qu’on a eus dans le passé, si incontestables qu’ils soient, ne sont pas censés servir de sauf-conduit pour des opérations d’enrichissement malhonnête… Il y a là, c’est sûr, une situation embarrassante dont on se demande comment le Brésil va se dégager.

La gauche incarnée par Lula fut en son temps la promesse d’une régénération: celle d’une gauche plus émancipée de l’idéologie et de toute la rhétorique révolutionnaire du Che et de Castro, plus au service des petites gens, plus attentive à leur quotidien et à la nécessité de leur offrir de meilleures perspectives d’existence…

Aujourd’hui, à travers ce qui se passe au Brésil, c’est encore le destin mondial de la gauche qui se joue : va-t-elle chuter, au risque de donner lieu à des formes de revendication plus radicales, ou va-t-elle, une fois de plus, nous gratifier de réponses nouvelles, de compromis heureux, dont le reste du monde pourrait encore s’inspirer ? Nous verrons bientôt !

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