Le prisme et l’horizon/Initiative de Paris : pourquoi les Etats-Unis y vont à reculons

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Un certain doute plane au sujet de la réunion que la France a programmée pour la fin de ce mois en vue de relancer le processus de paix entre Palestiniens et Israéliens. Que l’attitude de Netanyahou soit négative, cela n’a pas vraiment surpris. La France avait accumulé ces derniers temps des initiatives au sujet desquelles le gouvernement israélien avait exprimé son «agacement». Ce qui a commencé avec le vote par le Parlement français, fin 2014, d’une résolution appelant à la reconnaissance de l’Etat palestinien. Puis par la déclaration qu’en cas de statu quo, de non-reprise des négociations, il y aurait passage automatique à la reconnaissance officielle de l’Etat palestinien...

Lors de la rencontre entre le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, et le Premier ministre israélien, dimanche dernier, un autre fait a été reproché à la France : elle a voté, le 14 avril dernier, à l’Unesco, une résolution «visant à sauvegarder le patrimoine culturel palestinien». Ce texte, soulignent les Israéliens, nie tout lien historique entre le peuple juif et plusieurs sites religieux dont le mont du Temple, l’actuelle esplanade des mosquées dans la partie orientale de la capitale disputée. C’est en invoquant ce vote que Netanyahou a proclamé à la presse que «la France n’est pas impartiale» et qu’il a justifié son rejet de principe de l’initiative.

D’autre part, on connaît bien l’attitude actuelle de la diplomatie israélienne qui consiste à camper sur la position suivante : la communauté internationale ne peut avoir de rôle que pour laisser avoir lieu un «duel» israélo-palestinien, une négociation directe entre les deux protagonistes. Or que propose le gouvernement français ? Presque l’inverse, puisqu’il s’agit de relancer le processus de paix en mettant de côté les principaux intéressés, du moins dans un premier temps. En effet, dans la vingtaine de pays qui ont été invités — et parmi lesquels figurent les Etats-Unis et la Russie — ne figurent ni l’Autorité palestinienne ni Israël: ils ne seront invités, dans un second temps, que si cette première phase réussit, expliquent les organisateurs.

L’incertitude ne vient donc pas d’Israël et de ses plus ou moins bonnes dispositions : elle vient plutôt de la participation des Etats-Unis. Ou de leur niveau d’engagement. On sait déjà que la date initiale de la réunion de Paris a été modifiée en raison de l’agenda de John Kerry, le secrétaire d’Etat américain. On parle désormais de la première semaine de juin. Cette façon de ne pas accorder la priorité à la réunion parisienne par rapport à d’autres activités de type plutôt protocolaire est en soi un message. Les Etats-Unis ne disent pas non mais donnent l’impression de traîner la patte.

Il est vrai qu’une attitude empressée risquerait de leur aliéner la sympathie et la confiance de la communauté juive, que ce soit en Israël ou au sein de la population américaine. Les Américains ont cette contrainte qu’ils ne peuvent se démarquer trop franchement de la position israélienne, même quand ils opèrent contre elle. Mais cette attitude prudente peut aussi être mise sur le compte d’une double préoccupation. D’abord, avec les échéances électorales qui se profilent à l’horizon, il ne s’agit pas que le camp démocrate perde le soutien d’une communauté juive dont le poids sur la scène politique américaine dépasse de loin sa valeur arithmétique. On a vu que Donald Trump, malgré tout le côté fantasque de nombre de ses déclarations et prises de position, n’a pas manqué de prodiguer des gestes très «rassurants» à l’adresse d’Israël.

Dans une réunion de l’American Israel Public Affairs Committee, le 21 mars dernier, il a multiplié, devant un auditoire ravi, des déclarations du type : «Moi élu, Israël ne serait plus traité en citoyen de seconde zone». Ce genre de comportement de la part du rival républicain est de nature à réduire la marge de manœuvre de l’administration, conduite par les Démocrates.

D’autre part, il s’agit de veiller à ce que cette réunion de Paris, si d’aventure elle était un succès, ne lance pas au monde entier le message selon lequel, quand les Etats-Unis laissent à d’autres le soin de mener une initiative de paix, alors ça marche. Ce qui voudrait dire que les nombreux fiascos qui ont ponctué le processus de paix ces dernières décennies seraient dus, en fin de compte, au fait que l’Amérique s’en soit mêlée. Et que, par conséquent, il convient pour l’avenir, si on veut que la paix advienne, au Moyen-Orient comme ailleurs, que ce pays reste à l’écart. Autrement dit, la diplomatie américaine hésite à mettre son poids dans une initiative qui pourrait la disqualifier.

Mais, d’un autre côté, les Etats-Unis ont-ils le choix ? Ils savent qu’ils se sont fait une réputation de partialité en faveur d’Israël et que cela compromet d’avance toute action qu’ils pourraient entreprendre. Ils savent aussi que, en cette époque de dissémination d’armes de plus en plus destructrices en raison de l’effritement des frontières et de capacité démultipliée d’endoctriner et d’enrégimenter la jeunesse par toutes sortes d’organisations terroristes grâce à l’Internet, le maintien du statu quo entre Palestiniens et Israéliens est tout simplement suicidaire. Ce n’est pas seulement l’Occident et ses intérêts qui ont beaucoup à craindre de ce problème, de la fragilisation des conditions de la sécurité qu’il induit à large échelle, c’est toute la communauté internationale qui refuse de rester otage de ce conflit.

En tant que grande puissance, l’Amérique se doit d’agir, si ce n’est directement, du moins par le biais de ses proches alliés. S’ils ne le font pas, c’est un désaveu général qu’ils encourent, désaveu que la Russie de Poutine saura d’ailleurs faire fructifier à son profit.

La prudence américaine dans sa façon de faire son entrée dans l’initiative française n’est au fond rien d’autre qu’une prudence dans sa façon de manœuvrer de manière à rester agissant sans se mettre trop en avant, d’y aller à reculons devant l’opinion pour mieux pousser en sous-main... Gageons que, si les choses prenaient une tournure favorable, l’administration américaine saurait sortir en temps voulu de sa réserve affichée pour marquer tout le poids réel de sa contribution.

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