Le prisme et l’horizon/Habré : le sens d’une condamnation

Photo

Il est vrai que le processus judiciaire s’est ébranlé dès l’année 2009, lorsqu’il a été condamné à mort au Tchad, par contumace… Les revers de fortunes sont souvent extrêmes pour les despotes sanguinaires. Mais lui a pu échapper momentanément à son sort car il avait trouvé refuge au Sénégal . C’est pourtant là que la justice a fini par le rejoindre, au bout d’un long périple et bien des rebondissements.

Le procès à Dakar s’est ouvert le 20 juillet 2015. Il a duré plus de dix mois. Au cours de cette période, une page obscure de l’histoire du Tchad est sortie de l’ombre, faite d’enlèvements par milliers, de tortures et d’assassinats politiques.

A mesure que se révélait l’énormité des exactions et des crimes commis au nom de la raison, ou plutôt de la déraison d’Etat, se dévoilait aussi l’ampleur d’une complicité passive de l’Occident, qui a préféré ne pas savoir bien qu’elle sût pertinemment. Raison géopolitique : un jour, peut-être, viendra le tour de ces coupables et feintes ignorances afin qu’elles rendent compte. Tant d’horreur et de souffrances humaines face auxquelles on se contente de fermer les yeux, au nom d’intérêts qui emportent tout sur la balance.

Mais le nouveau dans cette condamnation de l’ancien dictateur, c’est d’abord que la justice rendue n’a pas été expéditive : elle a pris tout le temps d’écouter et de confronter les témoignages, de considérer les faits et de mesurer la sentence. Nous sommes après tout en terre d’Afrique et l’accusé est un dictateur que l’usage, quand le vent tourne, est de jeter en pitance au courroux populaire, pour recueillir des faveurs qui serviront à de nouvelles aventures dictatoriales.

Ce qui est nouveau, ensuite, c’est que l’exigence de justice n’a pas lâché prise malgré le passage des années. C’est un message à tous les potentats qui pensent que leurs forfaits seront un jour recouverts sous les replis épais du temps qui passe. Cette époque est révolue : Hissène Habré a inauguré une nouvelle ère, il a sifflé malgré lui la fin des prescriptions naturelles et de l’impunité usurpée.

C’est un grand événement pour le continent, dont l’entrée dans la modernité, dès la période des indépendances, a été marquée par la malédiction des dictatures sanglantes. Aujourd’hui, se dresse sur le sol africain lui-même une réponse judiciaire qui récuse la barbarie d’Etat à travers les condamnations qu’elle prononce, mais aussi et surtout à travers sa manière propre de rendre ses jugements dans le respect des exigences d’indépendance et de sérénité.

Enfin, les autres pays d’Afrique, sous l’œil vigilant de l’Organisation de l’unité africaine, ne sont plus autorisés à accorder l’asile aux hommes politiques dont les mains ont baigné dans le sang : ceux qui le feraient pourraient, à l’image du Sénégal, se trouver dans l’obligation de rendre la justice sur leur territoire.

Du chemin reste à faire, bien sûr, mais ce qui vient de se passer est un grand pas.

Hissène Habré est aujourd’hui un homme très âgé : sa peine de prison pourrait bien ne pas dépasser quelques années, finalement. C’est bien peu pour les dizaines de milliers de morts qu’on lui impute. D’un autre côté, il semble bien que la complaisance dont il a bénéficié de la part de certaines puissances occidentales – Etats-Unis et France en tête – avait une contrepartie : il servait leurs intérêts stratégiques.

L’épisode de la guerre contre Kadhafi en 1983 le montre. Il reste que rien ne justifie ce mépris de la vie de ses concitoyens qu’il a nourri, cette facilité avec laquelle il a ôté à jamais leurs parents à des milliers d’enfants et la banalisation de la torture et du massacre comme réponse politique aux résistances qu’il rencontre sur son chemin.

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات