Iran : quelle diplomatie ? La conquête de l’est

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Il y a huit jours, mercredi 7 juin, deux attentats ont frappé la capitale iranienne. Le bilan des victimes s’élève aujourd’hui à 17 morts et près d’une quarantaine de blessés. La traque des terroristes a mobilisé le pays et s’est soldée, à ce jour, par de nombreuses arrestations qui confirment l’implication du groupe Etat Islamique. En réalité, ce dernier avait lui-même revendiqué le double attentat mais les Gardiens de la révolution avaient accusé les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite d’être les commanditaires réels.

Le chef adjoint des services de renseignements relevant des Gardiens de la révolution, rapporte l’agence iranienne Fars, a affirmé alors que les deux pays en question avaient « ordonné à leurs marionnettes » de mener ces attentats. Ces accusations, qui n’ont pas été démenties par le gouvernement iranien, pouvaient être mises sur le compte à la fois de la stupeur et de la violente attaque diplomatique dont l’Iran venait de faire l’objet de la part des participants au sommet de Riyad, et plus particulièrement de ces mêmes deux pays : Etats-Unis et Arabie Saoudite.

Or il n’en est rien : les accusations ont été maintenues. Elles représentent une sorte de contre-rhétorique qui fait pièce au Sommet de Riyad en accusant d’accointance avec le terrorisme ceux-là mêmes qui l’en ont accusé.

Dans une réunion désormais périodique qui se tient à Oslo chaque début de mois de juin et qui est consacrée au thème de la médiation dans les conflits, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohamed Javad Zarif, a réitéré ces accusations en déclarant que l’Arabie saoudite finançait des «groupes terroristes» sur le sol iranien. C’était mardi dernier. Mais, point à relever, cette position n’a pas empêché le diplomate iranien d’adopter en même temps un discours conciliant en appelant au dialogue les protagonistes de la crise du Golfe…

Un «mécanisme permanent»

Cette attitude est un trait de la politique internationale actuelle, qu’on observe en particulier chez les grandes puissances militaires : elle consiste à alterner des discours hostiles, accusateurs et presque guerriers à des discours qui appellent à la négociation et qui ne renoncent en rien aux opportunités économiques des échanges… Inconstance et inconsistance ou maturité et souplesse d’un plus grand réalisme politique : l’histoire jugera !

Autre point à relever, non moins important, ô combien : le ministre iranien a appelé à la mise en place «d’un mécanisme permanent de consultation, de conversation et de résolution des conflits dans notre région» et il a invoqué les négociations d’Helsinki comme modèle. On se souvient peut-être que c’est grâce à ces négociations d’Helsinki que les blocs communiste et occidental ont entamé au milieu des années 70 une période d’apaisement de leurs tensions. La sortie de la «Guerre froide» leur doit beaucoup.

Une initiative de cette importance, qui est pourtant passée assez inaperçue chez nous, pousse à se demander quelle est l’approche diplomatique de l’Iran aujourd’hui au vu d’un double changement qui est intervenu récemment : la réélection du président Rouhani qui dispose d’une large assise populaire pour un nouveau mandat d’une part et, d’autre part, la politique de franche rupture à laquelle le pays fait face de la part des Etats-Unis ainsi que de l’Arabie Saoudite et des pays participant au Sommet de Riyad le mois dernier — bien qu’à des degrés divers pour ces derniers.

Rappelons à ce propos que, contrairement à ce qui se dit de-ci de-là, c’est parce que le Qatar a refusé de s’aligner sur cette politique de rupture avec l’Iran que les accusations ont commencé à pleuvoir sur lui et que l’argument de «soutien au terrorisme» a pris tout d’un coup une importance inégalée. Du reste, le Qatar l’a bien compris puisque, pour sa défense, il invoque la «souveraineté de sa politique étrangère»…

De nouveaux regroupements

Le propos n’est pas ici de se ranger dans le camp de ceux qui jettent l’anathème sur cet émirat, et pas davantage dans le camp de ceux qui s’empressent de prendre sa défense. L’importance de la crise ouverte autour du Qatar tient dans la question de savoir si le «mur de Berlin» que l’Arabie Saoudite souhaite installer avec d’autres entre le monde arabo-sunnite et le monde irano-chiite va se fissurer ou s’il va tenir… Car il peut tenir.

La «révolution iranienne» et ses stratégies de déstabilisation régionale demeurent une menace sérieuse pour la majorité des pays du Golfe, comme cela a été plus d’une fois souligné lors du sommet de Riyad. Et tout se passe comme si l’Iran en avait pris son parti, même si les autorités de Téhéran ont envoyé des aides alimentaires à Doha dans un geste de solidarité et de reconnaissance à l’égard du Qatar, mais peut-être aussi de défi à l’égard du blocus installé autour de l’émirat…

Le 29 mai dernier, quelques jours à peine après le sommet de Riyad, le ministre kazakh de l’Economie a annoncé un accord entre l’Iran et l’Union économique eurasiatique, qui regroupe la Russie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et la Biélorussie. Jeudi dernier 8 juin, la Russie a déclaré que l’Iran passerait d’observateur à membre à part entière au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Inde et Pakistan)… Deux dates indicatives et non exhaustives !

Un double mouvement

Cette opération subite de rapprochement par rapport aux regroupements économiques asiatiques est clairement soutenue par la Russie, qui prolonge de la sorte une alliance militaire sur le terrain du conflit syrien, mais aussi une collaboration en tant que partenaires pour dégager des issues au conflit : cette collaboration russo-iranienne a été marquée par les récents accords d’Astana en vue de la création de «zones de désescalade» en Syrie…

On s’achemine donc aujourd’hui vers une phase nouvelle de cette coopération, plus économique, mais résolument tournée vers l’est… De façon parallèle, l’idée est de mettre en place un mécanisme permanent de prévention des conflits dans la région, comme l’a fait savoir le ministre iranien des Affaires étrangères à Oslo. Autrement dit, l’Iran reculerait vers l’est sur le terrain économique pour mieux revenir vers l’ouest mais armé cette fois d’une… politique de prévention des conflits ! On l’espère en tout cas.

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