Philosophie et psychanalyse /// Le compromis kantien

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Nous avons eu l’occasion de souligner, dans les semaines précédentes, la forte relation qui existe entre la conception de l’âme et ses évolutions dans l’époque moderne et, d’un autre côté, les réponses apportées par les philosophes à la question des fondements de la connaissance.

On peut dire, de ce point de vue, que la question des mathématiques joue un rôle déterminant, parce que ces dernières livrent le constat d’une connaissance où l’homme éprouve une certitude partagée. Mais la volonté d’étendre l’aire de certitude aux autres domaines de la connaissance, que ce soit aux réalités suprasensibles de la métaphysique ou aux réalités sensibles de la physique, cela induit des difficultés au sujet desquelles nous avons pu voir que rationalistes et empiristes se livraient un combat à l’issue improbable, sans parler des querelles qui existent à l’intérieur de chacun des deux camps : querelles au sujet desquelles nous ne nous sommes pas attardés, mais qui n’en existent pas moins.

Il y a d’ailleurs un troisième parti, dans lequel nous placerions Pascal et Rousseau, et pour lequel le projet même de cette extension de l’aire de certitude est d’emblée contestable, parce qu’il correspond, selon eux, à une démission de la vocation religieuse ou morale de l’homme…

Or on peut considérer que l’ambition de Kant est de réinvestir le terrain éthico-religieux, comme fait Rousseau dont il était un grand admirateur, sans toutefois tourner le dos à la question des fondements de la connaissance, ni à celle des mathématiques comme expérience de certitude.

La découverte d’une «sensibilité pure»

La critique kantienne, qui ramène le domaine de la connaissance à l’intérieur de certaines limites — celles des «phénomènes» — et, par là, ouvre largement du champ à la « raison pratique » — celle qui ne s’occupe pas de ce qui est mais de ce qui doit être —, cette critique est celle-là même qui va tenter de trouver pour rationalistes et empiristes une position de compromis…

Pareille position nous intéresse parce que, là encore, elle entraîne la psychologie sur une conception nouvelle de l’âme qui va servir de point d’appui, explicite ou implicite, à tout un courant théorique.

Quelle est cette position de compromis ? Kant admet avec Locke et Hume qu’il n’y a pas de connaissance sans sensibilité, mais il fait une différence entre la sensibilité au sens habituel du terme, qui produit sur l’intellect des «impressions » à partir d’objets externes, et une sensibilité «pure», qui précède toute impression.

Il y a, dit-il, des «formes a priori» de la sensibilité. Elles renvoient à l’espace et au temps. Or, dans ce domaine de la sensibilité pure, il y a connaissance possible, bien que l’intellect ne se trouve affecté par aucun objet. Le tort des empiristes, du point de vue de Kant, est donc d’étendre à l’ensemble de la connaissance humaine l’expérience de la connaissance en tant qu’elle résulte de l’affection par un objet.

La géométrie, l’arithmétique ainsi qu’une physique générale ou pure relèvent toutes de cette connaissance positive qui n’est pourtant le produit d’aucune affection par un objet, mais qui suppose cependant une sensibilité ou une réceptivité à travers ces formes a priori de la sensibilité.

Kant prend soin ici de bien séparer cette connaissance pure d’une part de la logique d’autre part, que les philosophes empiristes avaient tendance à amalgamer, de manière à pouvoir soutenir que si ces connaissances se passent de toute impression sensible, c’est précisément parce qu’elles ne nous apprennent rien sur le réel, qu’elles ne sont donc pas vraiment des connaissances : elles ne seraient qu’une mise en ordre de l’entendement du point de vue de son fonctionnement correct.

Or, fait remarquer le philosophe allemand, cette fonction de mise en ordre est vraie de la logique, mais pas des mathématiques.

Résumons-nous encore : toute connaissance empirique, portant sur des objets, requiert en effet une affection et il n’est pas question d’y faire intervenir, comme voudraient Descartes et ses successeurs rationalistes, des «idées innées» pour rendre compte de la possibilité d’une connaissance stable qui se distinguerait d’une simple conjecture ou opinion reçue.

D’autre part, les connaissances dont l’objet se situe en dehors de la sphère de la sensibilité — celles de la métaphysique — sont des connaissances illusoires. La théologie, par exemple, ne peut pas être une science et il en est de même de la… psychologie ! Nous reviendrons bien sûr sur cette assertion qui semble en contradiction avec l’ensemble du présent propos…

Dans le même temps, il n’est pas vrai que l’âme soit, comme l’affirment les empiristes, une «tabula rasa». Il y a, disions-nous, des formes a priori de la sensibilité. Il y en a d’autres de l’entendement : ce que Kant appelle les «catégories» ou concepts a priori.

Et, à vrai dire, il n’est nulle connaissance qui ne soit le fait d’une conjugaison entre les formes a priori de la sensibilité et les formes a priori de l’entendement. Il y a donc bien quelque chose d’inné en l’âme, qui précède toute expérience, mais il ne s’agit pas d’idées : il s’agit de structures fondamentales sans lesquelles aucune connaissance empirique ne serait possible et sans lesquelles l’esprit de l’homme ne pourrait pas non plus s’adonner, comme il le fait depuis la nuit des temps, à la géométrie et à l’arithmétique ni affirmer des vérités sur les principes généraux de la physique.

Il y a des propositions universelles et nécessaires : elles existent bel et bien, contre l’avis de Hume, mais cela, on le doit à ces structures fondamentales dont nous héritons, et non à des «idées innées» en nous. Ce sont elles qui confèrent à nos jugements leur valeur de réelles connaissances scientifiques, par delà leur caractère de simple constat factuel concernant tel ou tel événement…

Mais il y a un prix à ce retour des propositions universelles et nécessaires : elles ne valent que dans le monde des phénomènes, qui n’est pas le monde en soi mais le monde tel qu’il nous apparaît dans le prisme de notre sensibilité.

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