Le prisme et l’horizon / Décès de Peres : pourquoi nous sommes silencieux

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Shimon Peres est mort. Il avait 93 ans et, aujourd’hui, vendredi, des Chefs d’Etat des quatre coins du monde affluent à Israël pour lui rendre hommage, lui le « Prix Nobel de la paix », lui « l’artisan infatigable d’une réconciliation avec les Arabes »… Dès les premières heures qui ont suivi sa mort, mercredi, dans les journaux et sur les sites d’information en ligne, on a rapporté les propos élogieux des grands de ce monde qui rappelaient son engagement en faveur de son peuple mais aussi et surtout en faveur de l’amitié entre les peuples. Et puis, comme en passant, on ne manquait pas de faire remarquer que les voix arabes restaient étrangement absentes de ce concert de louanges.

C’est vrai. Et nous voudrions apporter ici deux éclaircissements à cette position qui « intrigue » nos amis étrangers.

Premièrement, et quelle que soit l’exploitation démagogique et pernicieuse qui a pu être faite dans le passé par nos gouvernants arabes de la « Cause palestinienne » pour les besoins de leur propre pérennité au pouvoir, nous, les peuples, demeurons tenus par un devoir de solidarité envers le peuple palestinien. Ce devoir de solidarité, qui fait que nous ne nous sentons jamais tout à fait contents de notre sort tant que l’enfant de Palestine devine de l’humiliation dans le regard de ses parents, ce devoir nous interdit d’ajouter nos voix à cette célébration universelle de la mémoire d’un homme qui est censée être une célébration de la paix… Quelle paix ?

Nous n’avons pas la prétention d’être un rempart contre la souffrance du peuple palestinien, ou plutôt contre l’oubli dont cette souffrance est victime. Nous connaissons trop nos faiblesses et nos manquements pour nous laisser aller à ce type d’attitude. Nous ne poussons pas non plus la bêtise au point de réserver l’exclusivité de nos sentiments de compassion à un peuple pour cette seule raison qu’il partage avec nous l’identité arabo-musulmane.

C’est une injure portée contre notre appartenance à la grande famille de l’humanité, or que cette appartenance nous est chère : que tout le monde le comprenne ! Enfin, nous avons parfaitement compris ce que coûte un geste de paix et quel rôle il exige de nous en tant qu’acteurs de l’Histoire. Mais voilà, dans notre obstination, nous ne voulons pas que quoi que ce soit arrive que l’enfant palestinien aurait à subir ou à quoi il n’aurait pas lui-même acquiescé. Et nous le voudrons d’autant moins que le monde attendrait de nous que nous jouions le jeu… son jeu !

Voilà pour la première raison : il n’y a pas de réconciliation possible qui se ferait par dessus la tête de l’enfant palestinien et la mort de Peres n’en sera pas l’occasion.

La deuxième raison, paradoxale, pour laquelle nous restons discrets en ces circonstances, c’est que, malgré tout, malgré les adversités de l’histoire, ou peut-être à cause d’elles, Shimon Peres a été, un jour, un partenaire de paix pour les Arabes. Les âmes éclairées parmi nous ont su voir en lui un homme qui, sans rien renier de ses attaches, n’a pas hésité à manœuvrer contre son propre camp pour faire triompher ce qui amène les peuples à se transcender… Yasser Arafat et bien d’autres ont vu en lui ce partenaire.

Quel partenaire il a été, finalement, et s’il n’a pas souvent déçu, pas souvent trahi : c’est une autre affaire ! L’histoire jugera. Elle jugera ses silences et ses omissions, sa part exacte de responsabilité dans l’évolution des événements depuis que le processus d’Oslo, dont il a été un grand artisan, s’est enlisé sous l’effet d’un contexte régional peu favorable mais aussi d’une politique israélienne arrogante et agressive… Peres ne cache pas qu’il a été un homme de guerre. Il s’est d’ailleurs comporté comme tel même après les accords d’Oslo de 1993. Mais on ne peut lui dénier un engagement pour la paix, à travers le centre qu’il a créé en 1997 et, surtout, à travers le combat politique qu’il a mené contre les faucons israéliens depuis des années.

Bref, il ne nous appartient pas, nous qui sommes partie, d’être également juges en cette occasion. Mais nous disons ce qui suit : pour autant que Shimon Peres a été un artisan de paix, et qu’un dialogue s’est installé avec nous sur ce terrain, sa disparition aujourd’hui ne nous est pas indifférente. Mais le lien qui a pu germer à la suite de cette rencontre fait sans doute que si hommage il y a de notre part, il est de ceux qui s’expriment dans la retenue.

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