Les 5 et 6 juin prochain se tient à Alger une réunion des pays voisins de la Libye : structure qui regroupe l’Algérie, la Tunisie et l’Egypte. Comme chacun sait, cette alliance s’est donné pour mission d’aider les protagonistes de la crise libyenne à se remettre autour de la table et à négocier, non pas cependant à partir de rien, mais à partir des accords de Skhirat, qui avaient été signés en décembre 2015 sous la supervision de l’ONU et auxquelles s’étaient jointes plusieurs forces politiques libyennes.
La réussite de cette démarche dépendait en grande partie de la rencontre entre Fayez al-Sarraj, Premier ministre du Gouvernement de l’accord national (GNA), basé à Tripoli, et le maréchal Khalifa Haftar, qui dirige l’Armée nationale libyenne (ANL) à partir de l’est du pays. Cette rencontre a eu lieu le 2 mai dernier, à Abu Dhabi, et elle a débouché sur un accord qui devrait donner une forme nouvelle à celui de Skhirat.
En particulier, ce nouvel accord va modifier l’article concernant la composition du Conseil présidentiel : ce dernier ne devra plus être dirigé par le seul Premier ministre, mais par un collège qui, dans l’état actuel des choses, comprendra le maréchal Haftar. Notons cependant que la position de ce militaire au sein du Conseil présidentiel sera telle qu’elle ne remettra pas en cause la vocation civile de cette structure politique transitoire.
D’autre part, l’accord signé aux Emirats arabes unis, et qui a donné lieu à un communiqué commun, a mis à l’ordre du jour la dissolution des différentes milices et la lutte commune contre le terrorisme. Jusqu’à présent, cette lutte était menée essentiellement par l’ALN, sans le soutien politique du gouvernement de Tripoli. Khalifa Haftar, qui a hérité de l’armée du régime de Kadhafi en mars 2015, bénéficie d’un soutien affiché de la part de l’Egypte et des Emirats…
Mais aussi de Moscou. Grâce à ce soutien, il a inscrit à son actif plusieurs victoires contre les jihadistes, parmi lesquelles on peut compter la toute récente «autodissolution» d’Ansar Charia : une bonne nouvelle pour la Tunisie, où cette organisation a constitué la principale menace de radicalisation des jeunes et de perversion de la révolution à l’époque de la Troïka.
Baghdadi Mahmoudi déplacé
Le gouvernement du GNA n’est pas resté inactif dans la guerre contre le terrorisme, notamment à Syrte, où il a délogé l’Etat islamique l’été dernier. Mais son armée reste faible. Les milices qui combattent à ses côtés sont concurrencées par d’autres milices, hostiles au gouvernement, et cela à Tripoli même. Il s’agit en particulier des milices proches de l’ancien Premier ministre Khalifa Ghweil ainsi que celles de Slah Badi, toutes deux issues de l’ancienne coalition Fajr Libya.
Vendredi dernier, c’est contre ces milices que des combats ont été engagés par les forces loyales au GNA. Le calme relatif et fragile qui régnait dans la capitale libyenne a été soudain remplacé par le bruit de la canonnière et, selon le décompte d’un représentant officiel rapporté par l’AFP, il y aurait quelque 52 morts du côté gouvernemental. Si ces chiffres sont avérés, cela dénote l’intensité des combats, mais aussi, peut-être, la faiblesse matérielle des forces armées qui, pour protéger le pouvoir installé à Tripoli, peinent à se protéger elles-mêmes.
Notons que ce bilan très lourd n’a pas empêché, non seulement que le contrôle du GNA sur la ville soit maintenu, mais que des opérations audacieuses soient menées, comme la prise de la prison où se trouvaient l’ancien Premier ministre de Kadhafi, Baghdadi Mahmoudi, et l’ex-chef des services de renseignements, Abdallah Snoussi. Aux dernières nouvelles, ces deux prisonniers ont été déplacés vers des lieux plus sûrs.
Les camps d’entraînement toujours là
Le regain de violence à Tripoli est sans doute la conséquence de la situation créée par l’accord d’Abu Dhabi : certaines milices savent qu’elles doivent disparaître et qu’il existe désormais une alliance «est-ouest» dans le but de les dissoudre. Elles ont le souci de prendre des positions plus fortes avant que ne se mette en place le dispositif militaire issu de ce rapprochement… Mais, en attendant que ce rapprochement se concrétise, les forces proches du GNA paient cher la situation de division dans leur effort en vue de contenir le sursaut des milices hostiles.
Les forces de Haftar elles-mêmes, malgré leurs victoires ici ou là, ont montré qu’elles ne parvenaient pas à contrôler le sud du pays avec ses installations pétrolières et que, même dans le nord-est, certaines villes lui échappaient. C’est le cas de Derna, qui a été visée par l’aviation égyptienne au lendemain de l’opération terroriste du 26 mai contre des pèlerins coptes près de la ville de Minya, en Egypte.
Cette action de représailles, à laquelle Haftar affirme lui-même avoir participé, comporte un double aveu : premièrement, que des camps d’entraînement continuent d’exister en Libye où sont formés des terroristes — l’attentat de Manchester a révélé aussi des liens avec la Libye — et, deuxièmement, que l’état des forces libyennes en présence n’est pas suffisant pour en venir à bout de façon définitive. Ce sont tous ces éléments qui seront à l’ordre du jour en début de semaine prochaine et pour lesquels les trois pays du voisinage vont peut-être avoir à offrir plus que de la médiation : de la coopération, en vue de mesures rapides !