Crise du Golfe Par-delà les 13 demandes

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La crise qui oppose le Qatar aux «quatre pays» — l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et l’Egypte — n’a pas fini de susciter les commentaires avec ses prolongements et ses rebondissements… Parmi les pays du Golfe, deux sont restés à l’écart du conflit: Oman, qui joue depuis longtemps le rôle de médiateur très discret et qui, pour cette raison, s’assigne un devoir de neutralité, et le Koweït qui, en la circonstance, s’est donné de façon très officielle la mission de tenter de rapprocher la position des uns et des autres.

A l’approche de l’Aïd, des espoirs se sont exprimés que, à l’occasion de cette fête religieuse — qui est traditionnellement une fête du pardon —, la crise se dénouerait enfin. Et, donc, que la mission menée par le Koweït se solderait par une scène d’embrassades sous le regard de dizaines, voire de centaines de caméras accourues du monde entier.

Mais le document en 13 points que le Koweït a transmis à Doha la semaine dernière a vite fait de dissiper les illusions. Et cela pour cette seule et simple raison que si on avait voulu s’assurer que le conflit se durcisse entre les protagonistes, on ne s’y serait pas pris autrement. L’énoncé des demandes telles qu’elles nous sont parvenues à travers une version fuitée était présenté de telle façon, et assorti en outre d’un ultimatum, que l’acceptation par les autorités du Qatar d’un tel document relevait de l’inconcevable.

Pourquoi de l’inconcevable ?

Parce que certaines demandes exprimaient clairement une volonté de mettre au pas l’émirat du Qatar, au mépris du principe de sa souveraineté et, d’autre part, que certaines autres demandes comportaient implicitement des accusations graves par rapport auxquelles l’acceptation du document dans son ensemble prenait la valeur d’aveu. Comme le fait que des éléments des Gardiens de la révolution (iranienne) seraient présents sur le sol du Qatar et qu’il existerait une coopération militaire secrète avec Téhéran (point 1) ou que des relations seraient entretenues avec des organisations terroristes comme le groupe Etat Islamique et Al Qaïda (point 3).

Le point 9 est l’exemple type du langage à proscrire dans les relations diplomatiques et gageons que les écoles spécialisées sauront en préserver le texte pour montrer à leurs élèves ce qu’il faut à tout prix se garder de commettre comme «gaffe» au long de leur carrière. Il énonce que l’émirat doit s’engager à se conduire comme un élément bien intégré dans le groupe des pays du Golfe, sur les plans militaire, politique, économique, social et sécuritaire… Sous entendu : ils sont l’école qui dicte les règles, lui est l’élève dont le rôle est de bien les appliquer !

Tout se passe donc comme si le document avait été rédigé dans le but d’être rejeté par son destinataire. Mais il y a plus. Sans le vouloir peut-être, le document crédite l’émirat du Qatar du privilège d’un rôle positif dans le passage des pays arabes à plus de liberté politique. L’exigence de fermer la chaîne Al Jazeera (point 6) va dans ce sens. Car il faut bien faire attention à ce sujet : les critiques qui sont parfois ou souvent adressées à cette chaîne en raison de ce qui est considéré comme ses partis pris dans la couverture de l’actualité au niveau de la région, ou sa fausse objectivité, ces critiques ne recoupent pas exactement celles des gouvernements des pays du Golfe qui ne lui pardonnent pas ses audaces.

D’ailleurs, le même document se fait explicite à ce sujet : ce qu’attendent ses auteurs, c’est que le Qatar cesse de s’immiscer dans leurs affaires intérieures en donnant la parole aux opposants par le biais de ses médias ou en leur accordant l’asile sur son sol. Le point 7 demande à l’émirat de rompre ses relations avec les partis d’opposition des «quatre pays». Il le fait sans spécifier la couleur politique de ces partis en question.

Il s’agit donc bien, à travers l’exigence de fermeture des bureaux d’Al Jazeera, d’une volonté de mettre aux ordres les médias à l’échelle de la région tout entière, de les rendre inoffensifs et dociles… Or, dans cette bataille, c’est le Qatar qui risque fort de recueillir les faveurs de la rue à travers les différents pays du monde arabe et au-delà. Ce qui signifie en fin de compte que non seulement l’émirat du Qatar ne peut pas se soumettre aux exigences inscrites dans le document des «quatre pays» — par obligation envers sa propre souveraineté — mais, de plus, il n’a pas intérêt à le faire : car le rapport de force tourne manifestement à son avantage en termes d’image et de capital de sympathie… (Et ceux qui ont juré leurs grands dieux qu’ils voueraient aux gémonies ce petit émirat quoi qu’il arrive vont devoir assumer la position inconfortable de celui qui prétend défendre la dignité des nations arabes tout en accordant ses faveurs à une politique qui leur dénie le droit de pratiquer une presse insoumise et audacieuse.)

Quoi qu’il en soit, on notera donc que la mission de bons offices des Koweïtiens a eu un résultat contraire aux attentes : au lieu d’une réconciliation avec les «quatre pays» auteurs du document, on observe la formation d’une alliance nouvelle. En ce sens que l’ancien axe Ankara-Doha se renforce mais, surtout, qu’il s’élargit à Téhéran. C’est un aspect particulièrement intéressant à relever car le sommet arabo-américain de Riyad, le 21 mai dernier, avait jeté brutalement les bases d’une coalition arabo-sunnite opposée à un axe chiite irano-syrien.

Aujourd’hui, la crise du Golfe à laquelle on assiste est en train de briser cette logique de bloc et de faire malgré tout une place à l’Iran à travers cette amitié turco-irano-qatarie. Si cette évolution des événements devait conduire à la fin de l’affrontement caduc et inactuel entre sunnites et chiites dans la région du Moyen-Orient, ce serait finalement une bonne chose que cette crise du Golfe aurait apportée au monde, malgré son côté un peu absurde, il faut bien le dire.

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