A cinq semaines du premier rendez-vous électoral de la présidentielle française, prévu le 23 avril, un débat télévisé a rassemblé avant-hier soir les cinq candidats les mieux placés par les sondages, sur un total de 11 dont la candidature a été reçue par le Conseil constitutionnel le 17 mars. Cela se passait en même temps sur deux chaînes privées, l’une généraliste et l’autre d’information : TF1 et LCI.
Dans sa forme, le débat auquel ont assisté les téléspectateurs est relativement inédit. Il prolonge l’expérience des primaires qui, à droite puis à gauche, mettait l’ensemble des candidats en course face à des journalistes, avec obligation de s’exprimer sur des thèmes définis à l’avance mais aussi avec possibilité d’interpellations et d’échanges directs entre les candidats...
La dernière campagne présidentielle française, en 2012, n’avait pas donné lieu à un exercice tout à fait semblable. Le face-à-face restait réservé à la phase finale de la course, entre les deux vainqueurs du premier tour.
La façon de conduire le débat en mêlant les questions de fond liées au programme de chacun et cet autre aspect, plus prisé par les téléspectateurs, qui concerne l’aptitude de chacun à porter des coups contre les autres en essayant de les déséquilibrer, à les encaisser soi-même quand ils viennent des autres, à les rendre sans perdre son calme mais de façon suffisamment vigoureuse, bref cette dimension qui a trait à la gestion psychologique de l’adversité et de l’imprévu, c’est un pari difficile que politiques et journalistes ont choisi de relever.
Le risque, bien sûr, est qu’il y ait des dérapages au détriment du fond. Mais l’avantage incontestable c’est de conférer au premier tour un intérêt auprès du grand public qui, finalement, l’entraîne à se faire une opinion plus élaborée sur les grandes questions relatives à l’administration des affaires du pays. Or ce pari semble avoir été bien gagné.
Il est bon de relever cette initiative dans le jeu démocratique d’un pays auquel nous sommes liés sur le plan linguistique et culturel, quitte à faire ensuite d’autres choix, des choix qui soient plus en accord avec la particularité de notre propre parcours politique. Mais l’intérêt de ce débat ne portait pas que sur la forme. Il faut avoir à l’esprit que de l’issue finale de cette joute va dépendre en grande partie la physionomie de l’Union européenne, la France étant avec l’Allemagne un moteur de l’Europe. Ce qui est encore plus vrai depuis que le Royaume Uni a décidé d’amorcer sa sortie.
Sur les cinq candidats présents lors du débat, deux sont prêts à emboîter le pas aux Anglais et à sortir de l’Union : Marine Le Pen, qui est favorite des sondages pour le premier tour, et Jean Luc Mélenchon. La première incarne la droite nationaliste pour laquelle les sentiments xénophobes demeurent un gisement électoral (même si sa rhétorique s’est faite nettement plus prudente sur le sujet depuis quelques années), tandis que le second occupe assez bien le territoire de l’autre extrême du spectre politique, celui d’une gauche «insoumise», en l’absence d’un parti communiste dont les scores sont désormais trop faibles.
Face à ce duo de souverainistes purs et durs, les trois autres candidats affichent des positions nuancées. François Fillon, qui reste sous le coup d’une mise en examen judiciaire pour cause de soupçons d’emplois fictifs et de détournement d’argent public, s’est fait connaître pour ses penchants russophiles : une posture qui lui permet de prendre le contre-pied de la politique de l’actuel président Hollande sur le dossier syrien, et de se présenter du même coup comme un homme à poigne face au danger terroriste.
La contrepartie, c’est qu’il est amené à se démarquer de la position européenne sur la question de la Crimée, dont l’annexion par la Russie en 2014 au détriment de l’Ukraine a été condamnée par Bruxelles à maintes reprises et a donné lieu à des sanctions maintenues d’une année sur l’autre. Son ancrage dans l’Europe est donc au prix de cette distorsion importante par rapport à la diplomatie européenne.
Sur cette question, le candidat du parti socialiste Benoît Hamon, bien que critique à l’égard de la politique intérieure du gouvernement, se présente au contraire comme un fidèle défenseur de la diplomatie de François Hollande. Il ne désavoue ni le parti-pris anti Bachar El-Assad sur le front syrien ni l’engagement de l’armée française au Mali, critiqué par François Fillon, en raison de la charge financière qu’il représente en comparaison avec celle subie par les autres pays de l’Union.
Mais c’est Emmanuel Macron qui, réaffirmant son engagement en faveur de l’Europe, a servi de cible privilégiée pour la candidate souverainiste du Front national, qui a manifestement tenté de le déstabiliser lorsqu’il s’est agi de la question de l’autonomie de la politique française : «Vous avez un talent fou, vous arrivez à parler sept minutes, je suis incapable de résumer votre pensée, vous n’avez rien dit. Je voudrais que les Français s’attachent à vérifier qu’à chaque fois que vous prenez la parole, vous dites un petit peu de ceci, un petit peu de cela, et jamais vous ne tranchez, on ne sait pas ce que vous voulez et c’est inquiétant».
Il est vrai que le jeune candidat, crédité par les sondages de la seconde place, est a priori l’adversaire de Marine Le Pen au second tour et le probable vainqueur final de l’élection du 4 mai. Il est pour ainsi dire l’homme à abattre. Sans appareil de parti derrière lui, il sait qu’il doit en même temps garder les faveurs des électeurs à sa droite et à sa gauche.
Il plaide pour une «France forte dans l’Europe» et non pas en dehors d’elle, mais il le fait dans une sorte de va-et-vient entre les deux familles traditionnelles, dans un grand écart rhétorique qui donne en effet l’impression, parfois, d’une position hésitante... mais une position qui restera sans doute une des caractéristiques de cette édition 2017 de la présidentielle française.