Plus les conditions de son soutien deviennent problématiques et la marge de manœuvre se rétrécit autour de lui, plus le chef du gouvernement semble résolu à jouer pleinement la carte de son mandat et des responsabilités qu’elles impliquent.
L’interview accordée par le chef du gouvernement à l’agence TAP avant-hier obéissait à un timing dont le choix n’a pas échappé aux observateurs, puisqu’elle survenait quelques heures avant la réunion au Palais de Carthage du groupe Nida au Parlement.
A travers les annonces de poids qu’il y faisait, notamment en ce qui concerne la nomination d’un nouveau ministre de l’Intérieur, semblait s’affirmer une certaine assurance : celle de la pérennité de la responsabilité assumée face à une volonté de le pousser vers la sortie.
Paradoxalement, c’est comme si cette situation critique de survie conférait à Youssef Chahed une certaine énergie : une énergie qui ne serait pas tant celle du désespoir que celle du défi.
Depuis qu’il a été désavoué par les siens, ou une bonne partie d’entre eux, et surtout depuis que ce désaveu a été repris à son compte par le président de la République lui-même lors du fameux entretien télévisé du 15 juillet dernier, le chef du gouvernement a amorcé un changement de profil psychologique : il n’est plus du tout le gentil et docile garçon agissant sous la protection et la bénédiction de la figure paternelle qu’est Béji Caïd Essebsi.
Il avance désormais en tirant profit des équilibres fragiles qui continuent de jouer en sa faveur et en se jouant de l’adversité ambiante. Il pousse ses pions crânement, vaillamment, en multipliant les initiatives : hier, il inaugurait une unité industrielle de montage automobile à Ben Arous, en expliquant que le choix de la Tunisie par l’investisseur illustrait la confiance revenue en ce qui concerne le climat des affaires qui règne désormais dans le pays.
Aujourd’hui, aura lieu l’inauguration du tronçon d’autoroute menant à Ras Jdir, à la frontière libyenne… En début de semaine, il ouvrait la conférence périodique des chefs de mission diplomatique en prenant soin de souligner l’importance qu’il y a à préparer trois échéances en particulier, à savoir le prochain sommet arabe en mars prochain, le sommet de la Francophonie en 2020 et l’entrée au Conseil de sécurité de l’ONU en qualité de membre non permanent pour la période 2020-2021.
On notera cette insistance sur les événements du moyen et long terme, qui suggèrent une volonté d’inscrire son action dans la durée et de ne pas rétrécir ses horizons malgré les turbulences ambiantes.
Le même esprit prévalait dans les propos qu’il a livrés à nos confrères de la TAP lorsqu’il a évoqué l’ambition de mener à leur terme les négociations sociales d’ici la mi-septembre ainsi que la nécessité de se préparer au rendez-vous avec le FMI le 15 août prochain en vue de s’assurer du décaissement prévu pour le financement du budget.
Bref, il y a une claire volonté de se redonner du crédit en tant que meneur de la barque Tunisie, et ce malgré la perte de l’assise parlementaire. D’aucuns pensent qu’il est au centre d’une négociation secrète entre Nida et Ennahdha, dans le sens où ce dernier parti n’accepterait de le lâcher que contre des concessions… Peut-être. Si c’était le cas, il semble lui-même faire durer la transaction, ou faire reculer savamment son dénouement.
Cela étant dit, la question se pose de savoir comment il pourra obtenir l’adoption des grandes réformes qu’il s’est promis de réaliser, en matière aussi bien d’assainissement du secteur public que de redressement de la situation des caisses d’assurance sociale… Pourra-t-il continuer de miser sur cette carte volontariste du défi et de la marche en avant en petit comité, sans soutien du parti dont il est issu ?
Certes non. Mais, de l’autre côté, tout blocage qui serait organisé contre lui ne serait pas sans coût en termes d’image : qu’on se le dise… Car si la politique est en grande partie une course à l’image, reconnaissons que notre jeune chef du gouvernement semble déterminé à y prendre une avance.