Depuis que le flux des migrants en provenance de Syrie a pris le devant de la scène médiatique en Europe, on a vu se dessiner chez nos voisins du nord une ligne de partage entre pays favorables à une politique d’accueil et d’autres plutôt favorables à une politique de contrôle des frontières… Voire de reconduction des étrangers aux frontières. Ce clivage, bien sûr, ne concerne pas uniquement les différents pays européens dans leurs relations les uns avec les autres : il existe également à l’intérieur de ces pays entre les diverses forces politiques qui les animent. D’autre part, la crise migratoire n’a pas créé ces clivages, elle les a seulement portés au grand jour.
Le cas de la Pologne est de ce point de vue révélateur. Tout le monde connaît les attaches des Polonais au christianisme catholique. Au cœur de la nuit communiste, la Pologne a donné à l’Eglise de Rome l’un de ses papes les plus marquants de l’histoire, Jean-Paul II. C’est d’ailleurs en grande partie ce qui lui a permis de réussir sa sortie de la zone d’influence soviétique, sonnant ainsi le glas de l’ère communiste. Entre l’arrivée du premier gouvernement non communiste ( août 1989) à Varsovie et la chute du mur de Berlin (novembre 1989), il se passe à peine trois mois…
Mais cet attachement au catholicisme va conférer à la Pologne un profil qui va se traduire, dès 2005, par l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement nettement conservateur, issu de la victoire d’un parti alors nouvellement créé, le parti Droit et Justice. Or c’est ce parti qui vient de faire son grand retour après une période de 8 ans passée sur les bancs de l’opposition. Avec 242 sièges sur 460, il détient la majorité absolue et le président de la République, Andrezj Duda, est également issu de ses rangs.
En fait, les élections législatives remontent à octobre dernier mais les vrais débuts, si l’on ose dire, de la nouvelle équipe sont plus récents. Ils se jouent en ce moment, à travers le bras de fer engagé entre Varsovie et Bruxelles. Objet du litige : deux réformes controversées, l’une qui accorde au gouvernement le droit de nommer directement les dirigeants des médias publics — avec le but avoué de les « repoloniser » — et l’autre qui a provoqué chez les juges de la Cour suprême le commentaire suivant : «Cette nouvelle loi vise à entraver, voire empêcher le fonctionnement du Tribunal constitutionnel».
Le 13 janvier dernier, la Commission européenne a lancé une «enquête préliminaire» sur ces réformes.
Il s’agit de la première étape d’une procédure dite de «sauvegarde de l’Etat de droit» qui en comporte deux autres et qui peut se solder, en cas de désaccord confirmé, par la mise en application de l’article 7 du Traité de Lisbonne, lequel prévoit la suspension de certains droits…
A travers ce bras de fer, dont rien ne dit qu’il n’a pas été sciemment provoqué par les autorités de Varsovie, on devine une stratégie politique qui consiste à entretenir à son profit des sentiments nationalistes et anti-européens que l’on retrouve dans presque tous les pays de l’Union européenne.
Elément intéressant à signaler dans cette affaire : le gouvernement hongrois de Viktor Orban, chantre d’une « démocratie autoritaire », a d’ores et déjà annoncé qu’il mettrait son veto à toute mesure de la Commission européenne contre la Pologne… On assiste donc, et de façon un peu paradoxale, à une solidarité européenne pour moins d’Europe, pour une affirmation plus franche des identités nationales. Etant entendu que cette complicité entre gouvernements polonais et hongrois a d’autres relais et d’autres manifestations à travers la multiplicité des relations intereuropéennes…
La poussée des flux migratoires, mais aussi l’aggravation de la menace terroriste et, de façon corollaire, le développement des sentiments islamophobes, font craindre que cette complicité donne à l’Europe, dans les années à venir, un visage auquel nous ne sommes pas habitués… A la fois moins sourcilleux sur les questions de droits de l’homme et moins amical avec ses voisins du sud.