Droit du citoyen à l’information / Le constat d’une absence de politique publique

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La Constitution tunisienne garantit à la fois le droit à la liberté de s’exprimer, mais aussi, pour le citoyen, le droit d’être informé… Cette double garantie fait l’objet des articles 31 et 32. Que fait cependant l’Etat pour s’acquitter de cet engagement, en particulier pour ce qui concerne le droit d’être informé ? Bref, «quelle politique publique pour garantir le droit du citoyen à l’information ?»
La question prend tout son sens lorsqu’elle est énoncée sur les colonnes d’un journal qui relève du secteur public comme La Presse, qui aspire à remplir sa mission de service public et qui, par ailleurs, éprouve comme un vide en matière de «politique publique» dans ce domaine…

La conférence-débat organisée avant-hier après-midi par l’Institut français de Tunisie dans le cadre de ses «mardis de l’IFT» a posé cette question : «Quelle politique publique pour garantir le droit du citoyen à l’information ?». Elle a invité pour l’occasion deux spécialistes, à savoir Abdelkrim Hizaoui, enseignant à l’Ipsi et ancien directeur du Capjc, et côté français, Bertrand Cabedoche, professeur en sciences de l’information à l’Université de Grenoble et président du Réseau des chaires Unesco en communication (Orbicom).

La rencontre a permis au professeur Hizaoui, dans un premier temps, de rappeler les jalons qui ont marqué l’évolution des médias depuis la révolution, avec la suppression de l’ancien ministère de la Communication et son remplacement, ensuite, par l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric), à laquelle on doit les décrets-lois 115 et 116… Mais l’Inric disparaît du paysage en 2012 et un vide se crée : celui de l’Etat, non plus censeur, mais régulateur. Certes, nuance l’orateur, il y a la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) dont certains discutent cependant la crédibilité et l’efficacité… Mais son autorité ne couvre que le secteur de l’audiovisuel.

L’absence de politique publique s’observe au niveau du gouvernement — aucune structure spécialisée — mais aussi au niveau du Parlement, où le thème des médias est confié à l’une des nombreuses commissions, mais noyé dans la multitude de nombreux autres dossiers… Pourtant, il continue d’exister une presse publique, audiovisuelle et écrite. Elle reste étrangement sous la tutelle de la présidence du gouvernement : ce qui ne manque pas de susciter de graves interrogations en ce qui concerne le progrès réel qui aurait été réalisé en ce qui concerne sa position.

M. Abdelkrim Hizaoui conclut en évoquant l’hypothèse d’une instance indépendante chargée des médias, à l’image de celle qui existe pour les élections, tout en soulignant que se pose un problème de contrôle de ces instances.

L’exposé du professeur Cabedoche va élargir l’horizon. Là encore quelques jalons, au sujet de la liberté d’expression : 1766 en Suède, 1776 dans l’Etat de Virginie avec sa Bill of Rights, etc. C’est la fin du monopole de la presse. Mais, précise l’orateur, il n’est pas toujours nécessaire que cette liberté nouvelle fasse l’objet d’un texte écrit. Témoins les constitutions de la Norvège et de la Grande-Bretagne… Dans une étape ultérieure, on commence à se rendre compte que cette liberté accordée au citoyen est aussi une nécessité du point de vue du développement. Le courant positiviste sera le chantre d’une politique de diffusion de l’information à des fins de développement et cette politique sera appliquée dans les colonies, avec toutes les dérives qu’on peut supposer par rapport au type de développement dont il est question. C’est l’information «propagande», dont un théoricien s’empressera de souligner qu’il existe une différence entre la bonne et la mauvaise…

Jürgen Habermas complétera le schéma de cette politique de l’information qui se joue entre l’Etat et le peuple en évoquant le thème de «l’espace public», qui est espace de débat plus que d’endoctrinement. Mais se fait jour aussitôt la crainte que cet espace soit gagné par un phénomène de «commercialisation»… L’exemple des transitions politiques des pays de l’est européen a donné raison à ces craintes. Il y a donc, explique Bertrand Cabedoche, quelque chose de plus complexe que le schéma Etat castrateur / citoyen éclairé.
Autour de cet «espace public» se joue la «responsabilité sociale» de l’Etat, qui doit devenir promoteur du droit du citoyen à l’expression, mais aussi à l’accès à l’information.

Le professeur Gabedoche, qui se défend de proposer des modèles — en considérant que toutes les expériences, y compris la tunisienne, peuvent elles-mêmes servir de modèle — ne s’est pas attardé particulièrement sur l’exemple des pays en transition, qui auraient pu nous éclairer sur le génie démocratique des peuples en matière de passage d’une information dirigée à une information auto-régulée. Mais il fait remarquer au moment du débat avec l’assistance, de façon assez judicieuse, que les problèmes qui se posent aujourd’hui aux médias, avec en particulier la dérive de la «commercialisation» comme dit Habermas, sont des problèmes d’envergure régionale. Et que, par conséquent, les solutions sont également à explorer au niveau régional. En l’occurrence maghrébine… Un dossier sur lequel l’Union du Maghreb arabe pourra donc plancher, lorsque le destin voudra bien qu’elle se réveille pour de bon.

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