Turquie – Référendum / Pourquoi Erdogan tient-il à sa réforme constitutionnelle ?

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La campagne a déjà commencé en faveur du « oui ». A la clé de cette consultation, des pouvoirs élargis pour le président de la République. Mais pourquoi juge-t-on que cela soit si nécessaire ?

C’est le 16 avril prochain que les citoyens turcs se rendront aux bureaux de vote pour répondre par oui ou par non à la question de savoir s’ils veulent, comme le pouvoir actuel les y invite, transformer leur régime politique de parlementaire en présidentiel ou si, au contraire, ils préfèrent garder la Constitution de 1982.

Le 21 janvier dernier, le Parlement avait voté en seconde lecture en faveur du référendum. Le parti au pouvoir, l’AKP du président Erdogan, avait dû s’allier à un parti nationaliste dur pour atteindre le seuil requis des trois cinquièmes, qui a été dépassé de neuf voix, soit 339 votes favorables sur un total de 550 sièges. Avec ce dernier vote, le chemin était désormais libre pour la consultation populaire.

De quoi s’agit-il, au juste, avec cette réforme que d’aucuns qualifient de virage autoritaire des institutions ? Il s’agit de conférer au président de la République des pouvoirs étendus, au détriment de ceux du Premier ministre, dont le poste est d’ailleurs purement et simplement supprimé : il est remplacé par deux vice-présidents. La nouvelle Constitution permettrait au président, en vertu de cet amendement, de nommer les ministres, mais aussi de les démettre, et cela tout en restant à la tête du parti majoritaire. Son mandat, par ailleurs, passerait de quatre à cinq ans… C’est considérable !

Signalons toutefois que si le « oui » l’emportait, il faudra quand même attendre 2019, c’est-à-dire la fin de l’actuel mandat, pour que la nouvelle Constitution entre en vigueur. Et, bien sûr, Erdogan pourrait se porter candidat à sa propre succession. Et régner même jusqu’en 2029.

Pour le Premier ministre Binali Yildirim, la réforme constitutionnelle va mettre fin à « l’ère des coalitions » et permettra de « gagner du temps »… Nous avons besoin d’un « seul capitaine », a-t-il encore déclaré… Mais l’observateur lambda ne peut s’empêcher de se montrer circonspect face à ce type d’explication.

D’abord parce que l’actuelle constitution, qui tempère les pouvoirs présidentiels, n’a pas démérité : grâce à elle, la Turquie a fait un bond en avant assez remarquable sur le plan de la modernisation du pays depuis les années 80. Pourquoi l’abandonner en si bon chemin ? Ne dit-on pas que le mieux est l’ennemi du bien ?

Ensuite, parce que cette concentration formidable des pouvoirs entre les mains du seul président de la République comporte un risque élevé : celui de créer sur la scène politique intérieure une atmosphère délétère de mécontentement. Mécontentement qui sera d’autant plus néfaste qu’il sera silencieux et maintenu dans l’impuissance.

Enfin, en termes d’image au niveau international, l’effet est plutôt calamiteux et ne manquera pas d’avoir des répercussions sur le plan du tourisme, de l’investissement étranger, etc. Nous le voyons dans la façon dont la presse étrangère, et en particulier occidentale, aborde l’actualité politique de la Turquie ces derniers temps… Et puis quelle est cette mission pour laquelle la Turquie aurait besoin d’un timonier unique et omnipotent : le pays traverserait-il un chenal dangereux ?

C’est avec cette question, en réalité, que les avis pourraient diverger. Il semble en tout cas, c’est vrai, que la Turquie soit en train de renégocier son rôle historique dans la région. Et que le projet de cette renégociation remonte dans ses premières manifestations à l’arrivée au pouvoir du Parti de la Justice et du Développement (AKP) en 2002. C’est en effet à ce moment que se déclare la possibilité de se dégager d’une modernité de type occidental, héritée du réformisme de Kamel Ataturk, pour en inaugurer une autre qui renoue avec le passé – l’islam, les traditions, l’Empire ottoman… -, ou qui prétend à tout le moins l’assumer.

Sur le plan géopolitique, cela donne ce à quoi nous assistons actuellement : des relations de plus en plus distantes avec le partenaire européen et, en revanche, un rapprochement avec les pays du Golfe, qui prend la forme d’une alliance sunnite contre la menace chiite en général et iranienne en particulier… Le 13 février dernier, Erdogan a été reçu en grande pompe par le roi Salman d’Arabie saoudite : ce fut une occasion de sceller un réchauffement, mais aussi d’exprimer quelques critiques à l’adresse de l’Iran et de ses tirs de missiles…

La Turquie jouerait donc la carte orientale de son propre passé – y compris impérial – dans l’espoir d’un rôle qui n’est plus celui d’un strapontin européen, comme cela fut longtemps sa maigre ambition, mais celui de pièce maîtresse dans l’équilibre d’une région qui va du Golfe au Caucase en passant par la Syrie, où elle assure la tâche de soutenir l’opposition sur le terrain et dans les négociations de paix à Genève.

Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, et même si on peut admettre qu’un tel changement de cap historique exige un gouvernement monocratique, il reste que les conditions dans lesquelles se déroule la transformation des institutions laissent songeur : avec les dizaines de journaux fermés, la vague massive de limogeages dans l’administration suite au putsch manqué de juillet dernier, la guerre menée à certains partis, les emprisonnements de journalistes et de députés, il règne une atmosphère de peur qui, n’est-ce pas, risque de jeter un doute sur la crédibilité du scrutin, le 16 avril prochain.

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